Très souvent, on entend parler des effets négatifs des jeux vidéo sur notre société. Combien de fois n'a-t-on pas vu de reportages biaisés sur le sujet ? Mais pas cette fois-ci. Déboulant sur Netflix ce 25 octobre, Ibelin : la vie remarquable d'un gamer prend le contrepied de cette approche. Ou comment un joueur a pu échapper à ses difficultés bien réelles et parfois insurmontables, d'une souffrance terrible, grâce à un univers certes virtuel, mais rempli d'amour, d'amitié et d'aventures.
Ce joueur, c'est un jeune norvégien du nom de Mats Steen. Lorsqu'il décède en novembre 2014 à l'âge de 25 ans, atteint de la myopathie de Duchenne, qui provoque une dégénérescence progressive de l’ensemble des muscles de l’organisme, ses parents sont logiquement ravagés par le chagrin.
Quoi de pire pour des parents aimants que de perdre un enfant ? Ils sont d'autant plus tristes qu'ils pensaient que leur fils avait au bout du compte mené une existence complètement solitaire, isolée et coupée de ses amis, au-delà du cercle familial. Ne jamais connaître, au fond, ce qui nous rend aussi humain avant tout : le lien social.
Ils étaient pourtant on ne peut plus éloignés de la réalité. Ils ignoraient que Mats menait depuis des années une vie numérique dynamique, qui avait eu un impact très profond sur une communauté de joueurs. Le film nous emmène dans un voyage à travers la vie en ligne de Mats Steen, par son avatar baptisé Ibelin Redmoore; son personnage charismatique créé dans l'univers du jeu de rôle massivement multijoueurs World of Warcraft.
Netflix
"Avant sa mort, mats nous a laissé le mot de passe de son blog. Il y avait une bonne raison. C'était évident, il espérait qu'on découvre quelque chose. Derrière ce mot de passe se cachait un monde dont on ignorait l'existence" raconte sa mère. "Mats me disait qu'il jouait avec d'autres gens. Mais on pensait que ces gens ne le connaissaient pas. Ils ne s'étaient jamais vus, et ils ne se parlaient pas" ajoute-t-elle.
Dévastés par le deuil, les parents de Mats s'interrogent sur la manière de prévenir les éventuelles connaissances de leur fils. Pourquoi pas un message posté sur son blog justement ? C'est un véritable flots de mails qui s'abattent en retour. Des dizaines de personnes, dont les membres de sa guilde dans World of Warcraft, veulent témoigner leur affection auprès des parents, évoquer des tranches de vies partagées avec leur fils.
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C'est là que le dispositif mis en place par le réalisateur Benjamin Ree frappe très fort, émotionnellement parlant. On reconstitue in fine ses années passées dans ce jeu avec des animations faites avec le moteur du jeu (des machinimas en quelque sorte), avec la voix d'acteurs et d'actrices, sur la base de nombreux dialogues écrits par Mats dans le jeu.
Et il y a une bonne raison à cela : il évoluait en effet dans une guilde basée sur le jeu de rôle; c'est-à-dire que le joueur est censé "incarner" son personnage. C'est grâce aux dizaines de milliers de lignes de dialogues et d'échanges entre son personnage et le reste des membres de sa guilde, précieusement archivées, que le documentaire peut retracer aussi précisément son parcours.
"Avant, j'étais la personne la plus négative du monde"
Mais il y a plus. Le réalisateur est aussi parti à la rencontre de ceux et celles qui l'ont connu. Son amour virtuel par exemple; une jeune femme vivant aux Pays-bas, qui confie que Mats l'a sortie de la dépression dans laquelle elle était plongée. Ou encore cet exemple assez sidérant, dans lequel une mère et son fils, incapables de communiquer dans la vraie vie, sont finalement parvenus à renouer le contact et faire la paix par le prisme du jeu, sous l'oeil toujours attentif de Mats Steen / Ibelin.
"Il pouvait me dire des choses dans le jeu qu'il ne pouvait pas me dire en vrai" commente-t-elle, la voix étranglée par l'émotion. Son fils, qui avait développé une phobie scolaire, s'est volontiers remis sur les chemins de l'école, sous les encouragements de Mats / Ibelin. "Avant, j'étais la personne la plus négative du monde. Aujourd'hui, je suis devenu capable de tolérer les autres".
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Sans jamais occulter les frustrations vécues par Mats, ses joies mais aussi ses peines, Ibelin : La vie remarquable d'un gamer dessine un portrait absolument bouleversant. Nul besoin d'être soi-même un gamer pour se laisser harponner par ce documentaire, où culmine une séquence porteuse d'une charge émotive à fendre les pierres en deux.
Le festival du film de Sundance 2024 ne s'y est d'ailleurs pas trompé. Ibelin : La vie remarquable d'un gamer est reparti auréolé du Prix du Meilleur documentaire. A voir désormais sur Netflix.
