De Niki de Saint Phalle, la réalisatrice Céline Sallette ne connaissait que "quelques œuvres", notamment les Nanas, ces célèbres sculptures créées par l'artiste. C'est en découvrant son histoire personnelle, l'inceste dont elle a été victime par son père, que la cinéaste "ne pouvait plus fermer les yeux". Avec Niki, porté par Charlotte Le Bon, la cinéaste entend faire le lien entre le destin de cette femme et la société d'aujourd'hui.
Avant de passer derrière la caméra, Céline Sallette a toujours été actrice. C'est en découvrant une vidéo de Niki de Saint Phalle qu'elle perçoit son sentiment de révolte né d'un traumatisme longtemps enfoui jusqu'à ce qu'il revienne à la surface. "Je voulais que ce film raconte la transformation de Niki", explique la réalisatrice.
Cette transformation, Céline Sallette la comprend puisqu'elle a elle-même connu une révolution intérieure : "Je viens vraiment d'un endroit de féminité végétale, dans le sens de l'inaction, où les choses sont subies. Et cela s'est transformé en moi. À un moment dans ma vie intime, je me suis rendu compte que j'étais dans une impasse et qu'il fallait que je me réforme, que je me révolutionne."
Un combat plus actuel que jamais
Le film s'étend sur dix années de la vie de Niki de Saint Phalle. Au cœur du récit, il y a son histoire d'amour avec son mari Harry Mathews (John Robinson), ses créations comme moyens d'accomplissement personnel et les violences sexuelles dont elle a été victime par son père. L'existence même de ce projet repose sur des années de paroles libérées.
"Parce que d'autres femmes artistes ont pris la parole, parce qu'on vient derrière Christine Angot, Camille Kouchner, Dorothée Dussy et bien d'autres, que des vagues déferlent, rappelle Céline Sallette. Je pense, qu'avant ça, ce film n'aurait pas pu exister. Il y a quelque chose dans son parcours qui ne peut être entendu seulement maintenant."
Wild Bunch
Dans Niki, l'art sert d'exutoire mais toutes les œuvres sont invisibles à l'écran, elles sont filmées hors-champ. Les ayants droit ont refusé l'utilisation du travail de l'artiste. Le scénario et son axe sur l'inceste ne sont pas la cause. Céline Sallette a essuyé un refus avant même de présenter le script. Elle n'est pas la seule. Tous les autres producteurs qui ont tenté de porter son histoire à l'écran ont eu la même difficulté.
Charlotte Le Bon, sensationnelle
Pour la cinéaste, une solution s'impose : se concentrer sur la femme. "Au fond, ne pas filmer les œuvres, c'était une bénédiction, fait savoir Céline Sallette. Je comprenais le refus, c'était comme voler son art et ça ne devait pas être mon endroit. Il fallait que nous, avec les ressources du cinéma, les images, la musique, le son, on puisse faire le portrait de Niki, transposer sa poésie et lui rendre."
Elle dit qu'elle est ressortie de ce tournage énergisée plutôt que vidée
Sous les traits de la peintre et plasticienne, Charlotte Le Bon livre une interprétation remarquable. Avec ce rôle, l'actrice a renoué avec son désir de jouer, désir qu'elle avait perdu après plusieurs expériences décevantes. Mais comment protéger une actrice lorsqu'elle porte à l'écran une histoire aussi difficile ?
"Je l'ai couverte d'amour autant que je pouvais, répond Céline Sallette. C'était très intense mais elle dit qu'elle est ressortie de ce tournage énergisée plutôt que vidée. Je l'ai soutenue, accompagnée, admirée. L'équipe sur le plateau était réduite et je me suis servie de l'intelligence collective pour faire ce film. Tous les cerveaux étaient présents pour participer, donner son avis et je pense que cela passe aussi et surtout par là."
Propos recueillis par Thomas Desroches, à Paris, le 7 octobre 2024.
Niki de Céline Sallette est à découvrir au cinéma.
