Big brother is watching you !
Une nuit, Émilie, une jeune étudiante en architecture, remarque qu'un drone silencieux l’observe à la fenêtre de son appartement. Les jours suivants, il la suit et scrute chacun de ses mouvements. D'abord protecteur, le drone devient inquiétant. Émilie se sent de plus en plus menacée.
Après la série Stalk, disponible sur france.tv et racontant l’histoire d’un hackeur surdoué qui décide de se venger d’un bizutage en piratant les appareils électroniques de ses agresseurs, Simon Bouisson revient avec un long métrage troublant qui entraîne le spectateur dans une paranoïa allant crescendo. En effet, le réalisateur a implanté dans son film, comme avec sa série, la thématique du voyeurisme à travers les technologies modernes. Cette machine volante, dont on ne connaît pas le pilote, suit Emilie partout telle une sorte de Big Brother contemporain, la surveillant à chaque instant.
Un thriller (très) contemporain
Emilie, incarnée par Marion Barbeau (En Corps), est une étudiante qui pratique le caming comme petit boulot, une activité qui consiste à se filmer en live en échange d’argent. Si elle contrôle son image sur ces plateformes dans lesquelles des hommes la paient pour la regarder faire des choses qui les excitent, le drone ne tarde pas à inverser la tendance en faisant d’Emilie sa proie. En effet, la machine semble ne plus vouloir se limiter à ce que la jeune femme veut bien laisser voir mais la posséder entièrement, dans les moindres détails de son intimité.
“Manifestement, le drone métaphorise un regard, explique Simon Bouisson. Mais pas n’importe quel regard. Un regard obsessionnel et abusif. Et sans doute un regard masculin, un “male gaze”.”
Drone soulève des questions particulièrement ancrées dans notre époque. Violences sexuelles, parole des victimes remise en question, surexposition sur internet ou encore dépendance aux réseaux sociaux … Ce long métrage permet de mettre en lumière ces problématiques et de les dénoncer. Le spectateur, qui observe les scènes au travers des deux partis, garde par ailleurs une distance nécessaire par rapport au propos.
Une prouesse technique
La très talentueuse Marion Barbeau se fond parfaitement dans le personnage farouche et mystérieux d’Emilie. Nommée dans la catégorie meilleur espoir féminin lors des César 2023 pour son rôle dans En Corps de Cédric Klapisch, elle est aussi danseuse du ballet de l'Opéra de Paris. Cet atout a permis des scènes audacieuses, habilement chorégraphiées, dans lesquelles l’actrice et le drone se font face dans un ballet tourbillonnant.
Le film est en effet frappant de technique dans la vitesse des prises de vue et leur justesse, permises par des pilotes de drones aguerris. “Le pilote se tenait à 100m de là, en immersion, son casque de réalité virtuelle devant les yeux, raconte le cinéaste à propos d’une scène. Il dirigeait le drone du bout des doigts en déplaçant les joysticks d’à peine deux ou trois millimètres. Et la machine en trois secondes passait de 0 à 200 km/h pour zigzaguer entre les pylônes. Toute l’équipe était cachée plus loin pour ne pas être dans le champ, le drone tournait à 360° autour de Marion qui devait danser avec lui. Après chaque prise, elle communiquait avec le droneur pour préciser les mouvements de la machine. Et elle me parlait du drone qui la filmait comme s’il s’agissait d’un acteur, c’était pour elle un vrai partenaire de jeu.”
Drone comporte de sublimes plans séquences partant de presque 500 mètres au-dessus de la ville pour ensuite la survoler. Simon Bouisson souhaitait néanmoins que ces plans “vus du ciel” n’aient pas pour seule vocation le spectaculaire : ils ont un réel rôle dramaturgique.
Le drone a en effet une destination bien précise. Il traverse la ville puis entre par une fenêtre et se faufile ensuite dans des couloirs pour enfin arriver dans la chambre de ses proies. Le réalisateur a ainsi élaboré un point de vue particulier, comme s’il s’agissait physiquement d’un regard. Cette volonté de faire de la machine un personnage à part entière renforce le propos inquiétant du film.
D’ailleurs, lorsque le spectateur se retrouve dans l'œil du drone tout devient silencieux car la machine est sourde. Il semble alors qu’on l'entende respirer, comme un vrai voyeur tentant de faire le moins de bruit possible pour ne pas être vu…
Thriller haletant et brillant par sa technicité, Drone est à découvrir en salle dès maintenant.