Double peine
Eva (Sidse Babett Knudsen) est une gardienne de prison exemplaire : ferme mais empathique, elle est aussi appréciée des détenus que de ses collègues. Mais cette apparente perfection vole en éclats lorsque l’arrivée d’un nouveau condamné place Eva face à un terrible dilemme. Quel rapport peut-elle entretenir avec ce jeune homme (Sebastian Bull Sarning), tout droit sorti de son passé ?
“Une figure maternelle dans un milieu masculin et violent”
Récompensé au prestigieux festival de Sundance en 2018, unanimement reçu par la presse et le public, The Guilty était parvenu à faire grand bruit grâce au pari risqué de sa mise en scène. En faisant le choix d’un huis clos intégral, le réalisateur danois Gustav Möller optait pour un dispositif particulièrement contraignant, aussi limité dans ses options qu’éprouvant pour les spectateurs. Pourtant, en faisant de ce cadre réduit la principale originalité de son premier long-métrage et en l’exploitant comme un personnage à part entière, le cinéaste était parvenu à renverser la contrainte et à créer un film en apnée, aussi sombre que brillant.
Après un passage remarqué à la télévision avec Dos au mur et The Dark Heat, Gustav Möller fait son retour sur grand écran avec les mêmes ingrédients que ceux responsables du succès unanime de The Guilty : un environnement en huis clos, une plongée dans le quotidien de travail de forces de l’ordre spécialisées et, toujours, la démonstration de leur impuissance et de leur frustration.
Exit les lignes d’urgence, c’est cette fois-ci en milieu carcéral que Gustav Möller entraîne ses spectateurs avec Sons. Aussi sûre d’elle que consciencieuse, appréciée des détenus comme de ses collègues, Eva semble être une figure imperturbable au premier abord, mais l’arrivée d’un nouvel élément va la bouleverser dans ses habitudes.
Confrontés l’un à l’autre comme au cœur d’une arène dont ils ne peuvent s’échapper, Eva et le jeune Mikkel permettent à Gustav Möller de revenir à la base de son cinéma : l’enfermement. Une thématique introduite par le cadre carcéral de Sons, bien sûr, mais aussi par la rage grandissante que ces deux personnages peinent à juguler au fond d’eux.
Cette fureur, dont il garde la cause secrète pendant une partie du film, est filmée avec minutie par le cinéaste. Regards insistants, crispation de la mâchoire, tremblements des mains… Autant de symptômes du mal-être d’Eva que la caméra s’acharne à filmer en plans serrés, éclairés par la lumière crue des néons de la prison.
Dans ce rôle tout en retenue, dont déborde pourtant, comme d’un trop plein, une haine sourde et terrifiante, la comédienne Sidse Babett Knudsen se révèle impressionnante. Récompensé d’un César de la meilleure actrice dans un second rôle pour L’Hermine en 2016, puis nommée dans la même catégorie l’année suivante pour La Fille de Brest, Sidse Babett Knudsen s’est depuis illustrée sur le petit écran dans la série HBO Westworld et prouve, une fois encore, l’immense étendue de son talent que les murs de la prison ne sauraient retenir.
Ce personnage, que Gustav Möller définit comme “une figure maternelle dans un milieu masculin et violent”, se construit comme par reflet à sa némésis, le jeune Mikkel. Là où la fureur d’Eva demeure contenue, ne se manifestant que par explosions sporadiques ou par manœuvres certes cruelles mais subtiles, les accès de rage du nouvel arrivant semblent d’une violence absolue et non-dissimulée.
S’ils sont d’abord filmés comme des opposés, Eva et Mikkel apparaissent finalement, progressivement, comme les deux faces d’une même pièce, les deux visages d’une même colère et d’une même frustration que seules ces retrouvailles leur permettront d’extérioriser, à leur manière. Mais retrouveront-ils en l’autre ce qu’ils ont perdu ?
Sons, dès maintenant au cinéma.