Ça parle de quoi ?
Dans un bar de la ville, Kathy, jeune femme au tempérament bien trempé, croise Benny, qui vient d’intégrer la bande de motards des Vandals, et tombe aussitôt sous son charme. À l’image du pays tout entier, le gang, dirigé par l’énigmatique Johnny, évolue peu à peu... Alors que les motards accueillaient tous ceux qui avaient du mal à trouver leur place dans la société, les Vandals deviennent une bande de voyous sans vergogne. Benny devra alors choisir entre Kathy et sa loyauté envers le gang.
3 bonnes raisons de voir "The Bikeriders"
L'argument "c'est le nouveau film de Jeff Nichols" pourrait se suffire à lui-même. Car il s'agit de l'un des meilleurs réalisateurs américains, qui porte un regard pertinent sur son pays et son Histoire, avec une attention toute particulière sur les liens humains. Et nous étions sans nouvelles de lui, cinématographiquement parlant, depuis 2017 et la sortie de Loving.
Autant dire une éternité lorsque l'on parle d'un auteur aussi précieux, qu'il reste terre-à-terre (Mud, Loving) ou flirte de façon ou moins prononcée avec le fantastique (les visions de Take Shelter ou la science-fiction de Midnight Special). Si cela ne suffit pas à vous convaincre, voici trois autres arguments.
1 - D'après une histoire vraie... ou presque
Le gang de motards dont le film s'inspire a existé. Et il existe toujours, faisant office de principal rival des Hell's Angels, avec qui les affrontements sont désormais mortels, comme nous le précise Jeff Nichols lorsque nous parlons avec lui de son nouveau film à Paris. Un long métrage qui est issu d'un livre de photos intitulé "The Bikeriders" et signé Danny Lyon.
Si les personnages portent, pour la plupart d'entre eux, les mêmes noms que les modèles de l'auteur, l'histoire que raconte le long métrage n'est pas vraiment la leur. Car Jeff Nichols s'est appuyé sur ce matériau de base pour réaliser l'un de ses rêves : se pencher sur le destin d'un groupe de motards américains des années 60. Le temps d'un récit fictif dont les racines sont ancrées dans le réel.
Les photos montrent des détails sur l'apparence, le tenue vestimentaire et la manière dont ils construisent leur moto. Mais les interviews que Danny a réalisées, qui sont vraiment sans filtre, vous donnent la psychologie qui se cache derrière tous ces gens. C'était fascinant
"J'ai découvert le livre en 2003", nous dit le cinéaste. "Il s'agissait d'une édition augmentée, que Danny Lyon n'aimait pas tant que cela, comme je l'ai appris plus tard. Mais je préférais sa couverture. Et, heureusement, il contenait des photos en couleur là où la précédente version n'était qu'en noir et blanc. Il y avait aussi un second avant-propos écrit par ses soins, dans lequel un passage m'avait marqué."
"Il disait : 'Ce club n'existe plus. On nous appelle maintenant les Old Outlaws [Outlaws étant le nom du groupe, ndlr] et c'est la fin de l'âge d'or de la moto.' Cette idée m'est restée et a donné sa forme au film : le fait de raconter la trajectoire d'un club de motards au cours des années 60. Mais le contenu du livre de Danny était bien plus intéressant que cela. Il y avait vraiment tous les détails nécessaires pour dépeindre une sous-culture. Pas seulement les photos."
"Les photos montrent des détails sur l'apparence, le tenue vestimentaire et la manière dont ils construisent leur moto. Mais les interviews qu'il a réalisées, qui sont vraiment sans filtre, vous donnent la psychologie qui se cache derrière tous ces gens. C'était fascinant." The Bikeriders n'est donc pas un biopic mais la photographie d'une époque et d'un mode de vie. Au sens littéral car il s'appuie sur le point de vue du personnage de Danny Lyon (Mike Faist) pour raconter cette histoire.
2 - Un casting en roue arrière sur la route du talent
Au centre de l'attention dans Challengers, Mike Faist joue désormais les observateurs. Car c'est à lui que Jeff Nichols a confié le rôle de l'auteur du livre "The Bikeriders", Danny Lyon, qui fait figure de témoin de l'histoire des ces motards à l'écran. Un procédé narratif certes classique mais très efficace, où le comédien révélé par le West Side Story de Steven Spielberg est l'une des étoiles du casting.
Et où Austin Butler se mesure à un autre icône américaine après Elvis : Marlon Brando, que The Bikeriders cite ouvertement en faisant référence à L'Équipée sauvage de Laslo Benedek, qui sert de point de départ du club. Aux côtés de l'acteur, qui confirme son statut de star en puissance sans donner l'impression qu'il prend la pose, on retrouve une autre valeur montante : Jodie Comer, l'une des rares touches féminines d'un récit où la masculinité est aussi un sujet.
Boyd Holbrook, Damon Herriman (le Charles Manson de Once Upon a Time... in Hollywood, qui avait pour disciple un certain... Austin Butler) ou Emory Cohen sont également de la partie. Tout comme Tom Hardy, dont le côté brut et l'autorité naturelle sont parfaitement à leur place dans cet univers, où son personnage, le créateur de la bande, brille par sa loyauté.
Une distribution déjà élégante que complètent un Norman Reedus gentiment crado, en motard issu d'un autre groupe, et l'acteur fétiche de Jeff Nichols, Michael Shannon. Très souvent hilarant quand il n'est pas captivant lors d'une scène autour d'un feu. Et qui est donc présent dans les six longs métrages du réalisateur.
3 - L'un des meilleurs films de 2024 ?
Autant ne pas tourner autour du pot : alors que le premier semestre de 2024 s'achève, The Bikeriders est dans le haut du panier des films sortis en salles. En plus d'être malin, car si ses premières scènes peuvent faire penser au cinéma de Martin Scorsese (avec voix-off et arrêt sur image), au risque d'être réduit à un "Affranchis des motards" par certains, le long métrage parvient à s'en démarquer.
En faisant de ses personnages des icônes (Benny, joué par Austin Butler, en tête) mais pas des archétypes ou des figures de papier glacé. Plutôt de vrais protagonistes, incarnés, bruts et plein de failles et contradictions, qui favorisent l'immersion du spectateur dans ce monde et cette époque. Loin de glorifier leurs actes, Jeff Nichols joue la carte de la nuance en s'appuyant sur deux points de vue : celui de Danny, journaliste chargé de documenter la vie du groupe, et de Kathy (Jodie Comer).
Épouse de Benny, elle aide le long métrage à prendre du recul sur son sujet. Pour mieux raconter une histoire de fin des illusions (mise en parallèle avec la Guerre du Viêtnam, qui déchire alors les États-Unis) doublée d'une étude sur la masculinité, la violence, la camaraderie et la liberté, thème majeur de cette virée qui séduit autant sur le plan visuel que grâce à ce qu'elle raconte et aux personnes avec lesquelles elle le fait.
Sans révolutionner quoi que ce soit, Jeff Nichols montre une nouvelle fois l'Amérique au travers de son objectif. Armé du poids des mots et du choc des photos, il n'est jamais trop bavard ou trop peu, et parvient à éviter les pièges dans lesquels bon nombre de films centrés sur des motards (ou des bandes, tout court) sont tombés. À ce tarif, on veut bien attendre encore sept années de plus avant son prochain film, si celui-ci est du même niveau de qualité.
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 5 juin 2024