Invitée d'une conférence Women in Motion, organisée par Kering, ce matin, Judith Godrèche, visage du nouvel acte #MeToo en France, s'est exprimée sur sa prise de parole et ses conséquences sur sa carrière.
A la question "Est-ce que le désir d'actrice est encore vivace et fort chez vous aujourd'hui ?", Judith Godrèche répond : "C'est une question compliquée. Ça vient par vagues. Hier soir, je faisais une émission de télévision, il y avait William Dafoe et je le trouvais tellement intelligent, exigeant. Il y avait quelque chose de très sympathique qui me faisait me dire: 'En fait, il y a des mecs bien'. "
Et d'ajouter : "Peut-être que je vais redevenir actrice. Enfin, redevenir actrice, vous voyez ? Lapsus révélateur... Écoutez, oui. Ensuite, je dois vous avouer que depuis que j'ai parlé au César, c'est le silence le plus..."
A travers ta parole, tu t'inscris à un endroit militant
"D'ailleurs, c'est un peu le problème de la France. On a des étiquettes, on met les gens dans des cases. D'une certaine manière, à travers ta parole, tu t'inscris à un endroit militant. Ça y est, tu es une activiste. Il y a aussi ce truc où dans le fond, on ne peut pas accepter qu'une femme, c'est tout un monde. Comme les hommes."
A la question, posée dans public, "Est-ce que vous pensez que ça va peser sur votre carrière future ?", Judith Godrèche poursuit : "Oui, je pense que ça va peser forcément. De toute façon, je le vois bien déjà, à quel point ça pèse. C'est particulier. Vous savez, moi, je vis les choses un peu au jour le jour. Elles se sont passées de façon presque un peu comme si j'étais somnambule."
Oui, je pense que ça va peser sur le futur
"Ce n'est pas que je n'ai pris aucune décision, c'est que la vie a pris le dessus. J'ai vécu une grande partie de ma vie en étant assez, dans le fond, centrée sur moi-même. Je n'ai pas été quelqu'un qui soit particulièrement tourné vers les autres ou par exemple, ayant défendu des causes. J'ai quand même un certain âge aussi, donc il faut dire que ça prend du temps aussi de devenir "quelqu'un de meilleur". Mais oui, je pense que ça va peser sur le futur."
"En même temps, j'ai du mal à me poser toutes ces questions parce que j'ai le sentiment qu'aujourd'hui est tellement compliqué. Je me dis 'OK' aujourd'hui, et puis demain, on verra. Mais c'est vrai qu'il y a un moment donné, il va falloir que je me mette à gagner ma vie, à retravailler. Mais sinon, je ne sais pas... Je vendrais des glaces !" (rires)
Plus largement, quant à sa prise de parole, Judith Godrèche indique : "Oui, j'ai l'impression d'être un peu mieux entendue. C'est compliqué parce que quand on est dans l'agir, on a du mal à se rendre compte. Il y a une espèce d'énergie comme ça. Ce n'est pas l'énergie du désespoir, mais en tout cas, c'est une énergie qui vient de très loin, une énergie presque de l'enfance. Moi, j'ai le sentiment que j'ai une énergie d'une enfant qui a besoin d'une forme de justice, ou en tout cas d'une forme de réparation. C'est une sorte de course en avant, et en même temps de responsabilité."
J'ai parfois des moments de désespoir absolu où j'ai le sentiment que ça ne sert à rien.
Mais est-ce que j'ai le sentiment d'être entendue. Par moments, oui. Et j'ai des moments de désespoir absolu où j'ai le sentiment que ça ne sert à rien. C'est très compliqué dans le fond. On parle, on parle. On est entendu, mais tout à coup, on représente autre chose. Et notamment, par exemple, les victimes qui dénoncent publiquement des violences sexuelles, on attend aussi à ce qu'elles soient des victimes parfaites ou des personnes parfaites, c'est-à-dire infaillibles.
C'est très compliqué parce qu'il y a tout à coup une espèce de regard. Évidemment, que si vous dénoncez quelque chose, ou vous essayez de faire changer quelque chose dans la société, ceux qui ne veulent pas que ça change, ils vous attendent avec des kalachnikovs. Et ils se disent: 'quand est-ce qu'elle va faire un faux pas, qu'on puisse tous lui sauter dessus ?'
Pour mémoire, Quelques mois seulement après avoir pris la parole sur les violences dont elle a été victime, Judith Godrèche a présenté à Cannes, "Moi aussi", un court métrage qui met à l'honneur celles et ceux qui sortent du silence. Un titre qui fait écho au slogan et symbole des violences sexuelles faites aux femmes.
Tout a commencé en septembre 2023 avec une série, Icon of French Cinema. La Française y raconte son parcours, mais aussi l'emprise dont elle a été victime par un réalisateur, Benoît Jacquot. Elle avait 14 ans, lui 39.
La suite n'a été qu'un enchaînement de moments de bravoure où, à la radio ou aux César, Judith Godrèche n'a jamais cessé de parler pour faire celles et ceux qui partagent ses cicatrices. Quinze jours après un appel sur les réseaux sociaux - une adresse mail a été mise à disposition pour recueillir la parole -, la cinéaste reçoit 5000 témoignages. Des femmes, mais aussi des hommes.
Judith Godrèche applaudie à la suite de la projection de son court métrage "Moi aussi" :
Mille personnes se sont jointes à elle pour tourner ce court métrage d'une durée approximative de 15 minutes. Judith Godrèche met en scène sa propre fille, Tessa Bathélemy, déambuler toute de blanc vêtue au milieu d'une foule de femmes dans une rue parisienne.
Tourné en une journée, le film est une succession de gestes et de regards, mis en scène comme une danse, pour illustrer la parole comme une action qui ne peut exister qu'à travers le collectif. S'extirper de la solitude pour être plus fort⸱e.
À la fin du court métrage, Judith Godrèche explique, en voix-off, son projet et rappelle des chiffres édifiants.
- Chaque année, 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles en France.
- 1 femme sur 5 est victime de violences sexuelles.
- 1 homme sur 14 est victime de violences sexuelles.
- 81% des personnes sont victimes de violences sexuelles avant l'âge de 18 ans.
Pour signaler des violences sexuelles, le numéro 3919 a été mis à disposition. Il est accessible 24h/24 et 7j/7.
La 77e édition du Festival de Cannes se déroule jusqu'au 25 mai 2024.