Aujourd'hui, il est plus que jamais question de s'interroger sur ce que l'on résume souvent par une expression toute faite : la "superhero fatigue". Ce terme, que l'on a vu fleurir dès le début des années 2010 (avant même la sortie du premier Avengers) était alors utilisé par les détracteurs du genre pour faire savoir leur profonde lassitude à son égard.
Après 25 ans de cinéma super-héroïque (en partant de Blade en 1998), il y a eu environ 78 films de super-héros DC et Marvel au cinéma*, soit une moyenne de trois par an, et nous ne parlons même pas du boom des séries adaptées de comics, que nous recensions ici et, malgré un stop du compte en 2019, notre article avait déjà plus de 80 entrées !
Mais en 2023, le genre super-héroïque a connu plusieurs revers : si Les Gardiens de la galaxie 3 a réalisé un score quasi équivalent à son précédent opus au box-office, Shazam 2, Blue Beetle, The Flash et Ant-Man 3 sont des plantades complètes. Des soucis qu'a déjà vécus avant lui un autre genre phare du cinéma qui a lui aussi connu un âge d'or et un énorme déclin : le western.
Lorsqu'on lit que le genre du western a disparu, on pense toujours à des contre-exemples récents, qu'ils s'appellent Hostiles, Les 8 Salopards, The Revenant ou Les Frères Sisters, etc. Mais le fait est que le western est désormais un genre absent des cinémas, ne sortant de sa tombe que ponctuellement avec un sujet fort et une ou plusieurs stars pour attirer le public en salles. Mais que s'est-il passé pour le western qui pourrait aussi arriver - ou est déjà arrivé - aux super-héros ?
Le destin du western en (pony) express
Le western est un genre quasiment aussi vieux que le cinéma, puisqu'au début du XIXème siècle, le quotidien montré dans les westerns existe bel et bien "dans la vraie vie", et Frank James - frère du célèbre Jesse - comme Wyatt Earp sont encore en vie ! Le premier boom du genre apparaît à la fin des années 1920, l'arrivée du parlant permettant notamment de faire entendre les coups de feu et de faire chanter les cowboys !
Nous nous en tiendrons ici au western américain, où le genre était découpé en films "A" (les films à gros budgets), en "séries B" (les films à petits budgets) et en serials (des récits découpés en 13 épisodes diffusés au rythme d'un chaque samedi matin). Mais avec l'arrivée de la Grande Dépression, le public se désintéresse de ces films positifs et héroïques, bien loin de ses considérations et de son quotidien.
C'est John Ford qui remet le genre à l'honneur en 1939 avec La Chevauchée fantastique qui, en plus de sortir John Wayne d'un purgatoire de neuf ans à tourner des westerns à la chaîne et sans argent, devient un grand succès qui relance l'intérêt. Avec le besoin de films patriotiques durant la Seconde Guerre mondiale, le western explose à nouveau, proposant deux décennies de très bons films, noyés dans une masse colossale de productions (54 westerns sont sortis en 1958, soit 28% des films américains de l'année).
Le genre disparaît peu à peu suite à l'arrivée de la télévision qui remplace les sérials, et le nombre de films décline à la fin des années 50 pour mieux exploser sur le petit écran avec Bonanza, Au nom de la loi, Rawhide, Le Virginien, Gunsmoke, Maverick, etc. A partir des années 60, le western devient l'un des genres choisis pour des films événements très coûteux (Les Cheyennes, La Conquête de l'Ouest), et d'anciennes vedettes du genre qui tentent encore l'aventure comme Kirk Douglas ou John Wayne.
Des années 70 jusqu'à aujourd'hui, le genre reste limité à des films de prestige ou des direct-to-DVD / streaming.
Western et super-héros, même combat ?
Les 25 ans du genre peuvent se diviser selon nous comme suit :
- L'âge d'or : jusqu'à Avengers (2012)
Que cela soit la première trilogie X-Men et même Le Commencement, les premiers films du MCU culminant avec Avengers qui réunissait de nombreux héros ou encore la trilogie Spider-man de Sam Raimi : les spectateurs en prennent plein les yeux et mesurent ce qui peut être désormais accompli en matière d'effets spéciaux. Les fans voient enfin leurs héros incarnés à l'écran de façon (relativement) respectueuse.
Tout n'est pas bon évidemment (Catwoman, Blade III ou encore les deux Quatre fantastiques), mais le public suit avec enthousiasme.
Cette période peut être comparée à celle des premières années du western : celles où le public découvre son histoire revisitée et les héros sans tâche réglant leur compte aux méchants, même s'ils viennent d'autres planètes ! Une façon de rassurer une Amérique post-11 septembre et, pour le cas du western, post-Première Guerre mondiale.
- L'après Avengers : la qualité baisse, mais les sauveurs sont là ! (2013 - 2019)
Le début de la lassitude arrive au milieu des années 2010. Il faut rappeler qu'au moment où sort Iron Man 2, cela fait déjà dix ans que les films de super-héros sont revenus en force avec les trilogies du Spider-Man de Sam Raimi et celle des X-Men. Les spin-offs commencent à se multiplier, et Kevin Feige, patron du Marvel Cinematic Universe, fait savoir qu'il prévoit au moins dix ans de films si le succès continue d'être au rendez-vous.
Les séries commencent à se multiplier à la télé, renforcée bientôt par les plateformes de streaming qui veulent toutes leur part du gâteau. Marvel et DC s'en donnent à coeur joie : le genre est partout et avec lui, un public noyé sous les productions, du reste pas toutes regardables.
Comme le western avait eu John Ford, le genre super-héroïque a trois hommes providentiels : James Gunn d'abord, qui redonne de l'oxygène aux spectateurs avec ses Gardiens de la galaxie, à une période où les films commencent à patiner (Avengers 2, Ant-Man, Thor 2), mais surtout les frères Russo. En signant Captain America : Le Soldat de l'hiver, ils deviennent les réalisateurs stars de chez Marvel, et les chouchous du public avec Avengers 3 et 4, qui remportent des succès considérables. Black Panther crée lui aussi un engouement mondial autour du héros T'Challa, qui devient immédiatement iconique.
En parallèle, chez DC, l'échec de la sortie de Justice League est une catastrophe dont l'univers cinématographique de la marque ne se remettra jamais vraiment, malgré de belles réussites au box-office comme Aquaman ou Wonder Woman.
- Rebooter à petit pas : le tout pour le tout de DC ; l'échec du MCU ? (2020 - présent)
En multipliant les contenus et le toujours plus - en proposant des séries Marvel sur Disney+ qu'il faut avoir suivies pour profiter pleinement de l'expérience du MCU, et en rognant sur la qualité avec des produits de plus en plus moyens voire fades ou sans liens avec l'univers cinéma, le public s'est éloigné. Les films ont été globalement boudés par le public qui a grandi, et n'a plus la même exigence ni le même émerveillement que dix ans auparavant.
De son côté, James Gunn, devenu le grand patron de DC sur les écrans, s'apprête à sortir 5 nouveaux films et 5 séries DC en reprenant l'univers à zéro. Une tentative osée dans le contexte actuel d'un box-office en perte de vitesse pour cette catégorie de longs métrages.
Le temps de l'innocence et de la découverte a disparu et le genre super-héroïque va peut-être entrer dans sa phase "prestige". Alors que les films coûtent de plus en plus cher à produire et que Marvel est revenu au rythme lent de deux films par an qu'il avait à ses débuts, peut-être que le temps de la surenchère est devenu celui de la raréfaction.
Le genre commence déjà à se reposer sur la nostalgie pour essayer de raviver la flamme. On rappelle déjà les gloires d'antan via le concept du multiverse : Patrick Stewart revient jouer le Professeur X dans Doctor Strange 2, Hugh Jackman rechausse les griffes de Wolverine pour un Deadpool 3... Comme du temps du western italien ou coupler Django et Sartana devait booster les entrées.
- L'avenir : jouons les devins !
Zack Snyder est partisan, pour sauver le genre de la lassitude, d'opter pour un reboot tous les dix ans. James Gunn semble avoir compris le parallèle existant entre les super-héros et les cowboys. Lorsqu'il affirme que la fatigue super-héroïque est bien là au podcast Inside of You, il ajoute que le temps est désormais aux histoires ancrées dans le réel des personnages et de leurs émotions.
Cela colle parfaitement à l'histoire du western, qui s'est "psychologisé" durant les années 50 avec des titres comme Le Train sifflera trois fois ou La Cible humaine, qui proposaient des héros complexes et torturés pour apporter de la nouveauté à un genre balisé et rincé par un nombre de productions délirant.
Les studios devraient cependant se méfier, car si cela avait réattiré le public vers le genre en créant une curiosité nouvelle, cela avait immanquablement conduit à un désintéressement car si cela a donné quelques-uns de ses chefs d'œuvre au western, le genre a continué de décliner car il n'était tout simplement plus dans l'ère du temps.
Le genre super-héroïque doit se déconstruire et faire son auto-analyse s'il ne veut pas mourir. Dans le cas contraire, il risque à plus ou moins long terme d'entrer dans la dernière phase, celle des récentes années du western que nous ne connaissons que trop bien, avec un film tous les 5 ans, lorsqu'une star a la lubie de s'essayer au genre ou qu'un réalisateur pense avoir une histoire à y raconter**.
Peut-être Logan, le dernier volet solo des aventures de Wolverine, avait-il déjà tout dit ? Peu importe l'invincibilité du héros à l'écran, il vient un moment où il est temps pour lui de mourir malgré tout... pour mieux renaître un jour de ses cendres, car à Hollywood plus qu'ailleurs encore, l'histoire n'est qu'un éternel recommencement.
* en comptant les films animés adaptés de cette licence comme "LEGO Batman" ou "Spider-Man : New Generation", mais en excluant "Hancock", par exemple.
** Quelques séries comme 1883, Godless ou The English ont tenté l'aventure il y a peu, mais passent souvent inaperçues.