L’intelligence artificielle prend de plus en plus de place dans notre quotidien. Ce processus d'imitation de l'intelligence humaine est plus que jamais au cœur des débats : doit-on lui mettre des limites ? Quelles sont les dérives possibles ? Si elle ne date pas d’aujourd’hui, elle envahit la place publique et est désormais accessible à tous.
Le cinéma s’est bien évidemment lui aussi approprié le sujet, depuis très longtemps, comme nous l'explique dans cet article Loïc Besnier, docteur en Epistémologie, Histoire des Sciences et des Techniques. Ses recherches portent notamment sur les représentations des sciences au cinéma ainsi que leur réception par le public : "L'intelligence artificielle étant un domaine largement représenté dans la fiction cinématographique, il était difficile de ne pas s'y intéresser”.
La question de l’IA est d’actualité pour deux raisons : la première, la question de son utilisation à Hollywood fait partie des points soulevés par les scénaristes et acteurs actuellement en grève de l’autre côté de l’Atlantique. Aujourd’hui, ce sont les cascadeurs qui voient leur métier menacé par les studios qui veulent modéliser leur corps afin de les ajouter artificiellement à l’écran.
On en parle aussi car cet été, deux gros blockbusters font de l’intelligence artificielle le cœur de leur intrigue : Mission Impossible 7 (au ciné) et Agent Stone. Nous le verrons, ces deux exemples traitent le sujet différemment.
Dans le cas du film Netflix avec Gal Gadot, il s’agit d’un outil intitulé Le Coeur qui est utilisé par la Charte une agence indépendante qui anticipe les attaques et prédit la réussite d’une mission grâce aux statistiques … Un superordinateur utilisé comme un McGuffin (un objet matériel mystérieux qui est un prétexte au développement d'un scénario) car il est au centre de toutes les convoitises et qu’il doit être "sauvé".
La sortie d’Agent of Stone est l’occasion de revenir sur 5 films qui ont abordé à leur manière l’intelligence artificielle. Comme expliqué précédemment, le cinéma s’est emparé du sujet très tôt : “La mise en scène de l'IA n'est pas un phénomène récent”, nous confirme notre expert.
"D'ailleurs, s'il est vrai que l'on parle de plus en plus de la recherche et des possibles applications de l'IA, ces questionnements scientifiques ne sont pas nouveaux puisque l'on considère que cela devient un domaine de recherche au milieu des années 1950. Mais il faut également considérer que les questionnements autour de la création par l'homme d'une forme d'intelligence sont bien antérieurs à cette date. Par exemple, en 1927, Fritz Lang s'aventurait déjà sur ce terrain avec Metropolis."
2001 : l'odyssée de l’espace et l’exemple de HAL 9000
Quand on parle d’Intelligence Artificielle, on pense - parfois à tort - à des robots malveillants qui se retournent contre l’humain. Et c’est normal, puisque le cinéma est venu nourrir cette idée, en apportant parfois quelques nuances. D’ailleurs quand on pense à un film où les machines veulent nous contrôler, l’un des premiers à venir à notre esprit est 2001 : l'odyssée de l’espace de Stanley Kubrick.
Il fait de HAL 9000, un supercalculateur capable de reproduire la plupart des activités du cerveau humain, le grand méchant de son histoire. Un long-métrage sorti en 68 et qui mettait déjà en image les dérives possibles de l’IA. Dans le cas présent, HAL 9000 pense agir correctement, mettant en péril la sécurité des astronautes à bord du vaisseau.
"Si l'on se penche sur le rôle des IA dans la diégèse des réalisations, de grands axes peuvent être mis en avant. Celui d'une IA fondamentalement maléfique, se posant de fait en antagoniste du ou des héros. Mais un autre cas de figure peut se présenter, celui où l'IA devient progressivement malveillante. C'est d'ailleurs le cas de HAL dans 2001 poussant alors la discussion vers les notions de réflexion et d'apprentissage de cette IA."
Si tout est bien qui finit bien, le film de Kubrick nous offre le portrait d’une IA presque humaine, qui peut nous surpasser. Si à ce jour, une telle chose n’est pas encore arrivée, 2001 : l’odyssée de l’espace posait déjà des bases intéressantes.
WarGames : quand ça vire au drame de guerre
Nous sommes en 1983, en pleine Guerre Froide. Les ordinateurs envahissent timidement nos foyers. C’est à cette période que sort au cinéma WarGames, film que l’on peut désormais qualifier de culte, réalisé par John Badham, avec Matthew Broderick.
Ce dernier se glisse dans la peau de David Lightman, petit geek qui s’amuse à modifier ses notes sur son ordinateur. Alors qu’il pensait jouer au morpion, il se branche accidentellement sur l'ordinateur du département de la Défense (le WOPR) qui prend au sérieux ce qui n'était au départ qu'un jeu… Ce dernier pense jouer pour les Etats-Unis et affronter l’URSS (le héros). On est à un clique de la Troisième Guerre mondiale.
A l’époque de WarGames, qui se présente plus comme un thriller qu’un film de science-fiction, les termes Intelligence Artificielle ne sont pas encore utilisés massivement. Dans cet exemple présent, nous sommes face à un ordinateur qui compile des informations et qui les traite. Il est capable de raisonnement mais cela s’arrête ici. Le WOPR n’est pas vraiment doté d’une conscience, comme HAL, mais il n’en demeure pas moins dangereux quand il est mal utilisé.
I Robot et la déclaration d’indépendance
Quand on pense à Intelligence Artificielle, ce qui nous vient en tête sont les mots “ordinateur” ou "androïde”. Il est vrai que les robots nous ont toujours fasciné et continuent à le faire aujourd’hui.
I Robot (au cinéma), Become Human (dans les jeux vidéos), Real Humans… on ne manque pas d’exemples quand on cherche des productions dans lesquelles les robots ont intégré notre société. Il s’agit d’ailleurs d’un prétexte pour que ça ne vire au drame dans un second temps. Leur représentation a évolué avec le temps. Dans Ex Machina (2014) par exemple, il prend le visage d’Alicia Vikander et piège son interlocuteur afin de s’échapper.
Dans le film d’Alex Proyas avec Will Smith sorti en 2004, l’action se déroule en 2035. Le héros enquête sur le meurtre d’un chercheur en robotique dont le principal suspect semble être un androïde. I Robot part des trois lois de la robotique formulées en 1942 par les écrivains de science-fiction Isaac Asimov (le cycle Fondation) et John W. Campbell en les mettant à mal : un robot ne peut porter atteinte à un être humain / un robot doit obéir aux ordres donnés par les êtres humains / un robot doit protéger son existence dans la mesure où cette protection n'entre pas en contradiction avec la première ou la deuxième loi.
I Robot est l’exemple parfait de l’IA qui s’oppose à son créateur et qui veut déclarer son indépendance (en utilisant la violence).
Her : quand ça vire au drame sentimental
Doux, poétique, fascinant… En 2014, Spike Jonze nous plonge dans un futur proche, dans lequel il imagine un programme informatique ultramoderne capable de s'adapter à la personnalité de chaque utilisateur. Cette intelligence artificielle est capable de combler un manque affectif, comme pour le personnage joué par Joaquin Phoenix. Il fait la connaissance de Samantha (Scarlett Johansson), une voix féminine intelligente, intuitive et étonnamment drôle. Les besoins et les désirs de Samantha grandissent et évoluent, tout comme ceux de Theodore, et peu à peu, ils tombent amoureux…
"Avec le temps et l'évolution des recherches en matière d'intelligence artificielle, il est possible d'observer une tendance à l'élargissement de ces axes [sur le rôle des IA dans la diégèse]. Spike Jonze a par exemple fait un pas vers l'idée d'une scission entre monde humain et monde des IA dans Her. Le film de Steven Spielberg Intelligence Artificielle (2001) montre même des robots venant combler les besoins affectifs de certains humains. "
Dans cet exemple, l’IA n’est pas dépeinte comme un danger mais cela n’empêche pas le film de virer en drame sentimental : ils s’aiment mais ils ne peuvent pas se voir, se toucher, avoir une relation physique… Her montre les limites du genre.
Mission Impossible 7 et son IA suprême
On ne présente plus Mission Impossible, super franchise d’espionnage portée par Tom Cruise. Après avoir empêché des terroristes de mettre la main sur des ogives nucléaires, de subtiliser un virus capable de décimer toute une population ou encore éviter une Troisième Guerre mondiale, Ethan Hunt doit cette fois affronter un ennemi qui n’est pas tout à fait humain.
Dans Dead Reckoning, sorti en juillet dernier au cinéma, le super agent doit cette fois mettre la main sur deux clés permettant de contrôler une intelligence artificielle. Mais Ethan Hunt fait la course contre cette même Intelligence qui semble dotée d’une conscience. Si l’intrigue n’a rien d’originale par rapport à ce qui a été fait au cinéma dans le passé, un aspect en particulier a fait réagir notre expert Loïc Besnier :
"En ce qui concerne les représentations visuelles de l'IA, il semble également que l'on se dirige petit à petit vers une mise en scène autre que celle de l'androïde ou de l'humanoïde, en introduisant des IA non matérielles. Dans MI7, l'IA est effectivement présentée comme destructrice d'une part et supérieure en termes d'intelligence à tous les autres protagonistes, ce qui lui donne souvent une longueur d'avance.
Ce que je trouve particulièrement intéressant dans MI7 c'est le traitement quasi religieux de l'IA d'ailleurs nommée "l'entité". C'est assez marquant dans la scène de la boîte de nuit vénitienne où l'entité semble dominer l'ensemble des protagonistes que cela soit les agents de Mission impossible, leurs opposants et bien sûr Gabriel (Esai Morales), principal ennemi de Hunt, à la fois esclave et prophète de l'entité qu'il semble aimer autant que craindre."
Il est vrai que le nom du personnage d’Esai Morales n’a pas été choisi au hasard puisque dans la Bible, Gabriel est un archange, considéré comme le principal messager de Dieu. Dans ce combat contre une IA quasi céleste, seul Ethan Hunt / Tom Cruise érigé comme un super-héros - peut mener à bien cette mission impossible (qui nécessite d’ailleurs une partie 2 attendue au cinéma à l’été 2024).
Un sujet qui ne va pas s’essouffler au cinéma
Cela fait plus de 50 ans que le cinéma fait un merveilleux travail d’anticipation concernant l’Intelligence Artificielle, en venant nourrir notre imaginaire. Si elle prend de plus en plus de place dans notre vie, on peut compter sur le 7ème art pour s’en abreuver et imaginer des histoires toujours plus passionnantes :
“Il n'y a pas de raison de penser que cela va s'essouffler, bien au contraire, plus on progressera dans la recherche sur les IA et plus cela irriguera la fiction. En ce qui concerne les dérives, il n'en existe pas à mes yeux. Le cinéma et l'art en général doivent pouvoir traiter chaque sujet comme il l'entend.”