Octobre 1970. La Turquie est au bord de l’implosion. L’extrême droite et la gauche radicale s’affrontent - avec, pour conséquence, un coup d’État militaire organisé quelques mois plus tard, en mars 1971 - et une épidémie de choléra s’abat sur le pays. Ce même mois, William Hayes, un étudiant américain de 23 ans, est arrêté à l’aéroport d’Istanbul. Deux kilogrammes de haschich sont scotchés tout autour de son torse.
D’abord condamné à quatre ans d’emprisonnement, il voit sa peine s’étendre à 30 ans. Si sa libération est annoncée par le gouvernement en 1978, le prisonnier s’évade, en 1975, à l’aise d’un bateau pour rejoindre Salonika, en Grèce. “Je ne pouvais plus attendre. (...) Je devais me sortir de cette horrible prison. (...) Je suis un homme libre maintenant et j’ai toute une vie devant moi pour en profiter”, se réjouit-il dans un article du New York Times datant du 22 octobre 1975, quelques jours après son évasion.
Un an et demi plus tard, William Hayes publie le récit de ses années derrière les barreaux dans un livre intitulé Midnight Express. Sans surprise, ce même livre est adapté au cinéma. Le film est réalisé par Alan Parker, le scénario est signé par un jeune Oliver Stone et Brad Davis, belle gueule à la carrière prometteuse, incarne le premier rôle.
Présenté en compétition au Festival de Cannes en 1978, le long métrage fait polémique. Sa violence retourne les spectateurs du monde entier et en fait un classique instantané. Certains y voient un chef-d'œuvre, d'autres considèrent le film comme "le scandale fasciste américain du festival soutenu par la CIA".
En France, Midnight Express attire près de six millions de spectateurs dans les salles, avant de décrocher, en 1979, deux Oscars - celui du meilleur scénario adapté pour Oliver Stone et celui de la meilleure musique pour Giorgio Moroder. Si le succès profite à l’équipe du film et à William Hayes, la Turquie paye le prix fort de sa représentation à l’écran.
Dans les colonnes du New Yorker, en novembre 1978, la célèbre critique Pauline Kael écrit : “Le travail du réalisateur Alan Parker est xénophobe et mélodramatique, dépeignant tous les Turcs comme des êtres bestiaux, sadiques et sales.” Dans le Washington Post, le journaliste Gary Arnold s’interroge sur le regard du cinéaste : “D'où vient l'animosité fanatique de Parker contre les Turcs ? En veut-il à Lawrence d'Arabie, peut-être ?”
Sur le territoire, Midnight Express est banni des cinémas. Il se paye même la sale réputation du “film le plus détesté de Turquie”. Il faut attendre 15 ans, en 1993, pour qu'il soit enfin diffusé à la télévision et ce, sans censure. Le représentation faite de la population et du système juridique ont un impact considérable sur l’industrie du tourisme. D’un point de vue occidental, l’image du pays devient déplorable.
La nouvelle popularité de William Hayes, érigé en héros américain, pousse les autorités turques à lancer un mandat d'arrêt international (Interpol) contre lui, l'empêchant ainsi de beaucoup voyager à l'étranger.
En 2004, alors qu’il s’apprête à visiter la Turquie pour la première fois depuis la sortie du film, le scénariste Oliver Stone reconnaît ses erreurs et s’excuse. Il admet avoir “surdramatisé” l’histoire, s’inspirant néanmoins de témoignages de plusieurs associations pour les droits humains.
“Pendant des années, j’ai entendu que la population turque était en colère contre moi et je ne me sentais pas en sécurité ici”, reconnaît-il, avant de préciser que les conditions carcérales ont beaucoup évolué dès 1974. Le ministre du tourisme de l’époque, Erkan Mumcu, réagit à ses propos : “Le sentiment de regret exprimé par Monsieur Stone ne guérit pas les cicatrices de notre nation, mais cela reste important.”
Toujours en 2004, dans une interview pour le San Francisco Chronicle, William Hayes se désolidarise, à son tour, du film. Il parle d’une “exagération grossière” et d’une “interprétation unilatérale”. Il déclare : “Le message de Midnight Express n’est pas “N’allez pas en Turquie”. C’est “Ne soyez pas con comme je l’ai été.””
Midnight Express est disponible sur Netflix.