ÇA PARLE DE QUOI ?
Une plongée dans les bas-fonds d’un monde en ruines où l’on suit L’Assassin. Ses sombres desseins se perdent dans un labyrinthe de paysages étranges, repaire d’une faune inquiétante et féérique.
DESTIN ANIMÉ
Le nom de Phil Tippett ne vous dira peut-être rien. Mais son travail si. Pris de passion pour l'animation après avoir découvert les effets spéciaux de Ray Harryhausen sur Le Septième Voyage de Sinbad, il se spécialise dans le stop-motion et donne notamment vie aux créatures de l'holo-échecs du Faucon Millenium dans Star Wars - Episode IV en 1977. Puis les fait renaître moins de quarante ans plus tard dans Le Réveil de la Force.
Entre temps, il créé l'apparence de Jabba le Hutt pour les besoins du Retour du Jedi, et invente les TB-TT et tauntauns de L'Empire contre-attaque, qu'il fait se mouvoir grâce à la technique du go-motion, variante du stop-motion développée par ses soins et qui consiste à se servir du flou pour rendre les mouvements plus fluides que dans le cadre d'une animation image par image.
Willow, Robocop, Indiana Jones et le Temple Maudit, Starship Troopers, les Twilight ou les dinosaures de Jurassic Park ont également bénéficié du savoir-faire de celui qui a remporté deux Oscars (pour Le Retour du Jedi et Jurassic Park justement). Mais c'est en tant que réalisateur qu'il a relevé son plus grand défi avec Mad God, long métrage sorti dans nos salles ce mercredi 26 avril, après sa présentation en septembre 2021 à L'Étrange Festival. Et trois décennies de développement. Au moins.
"J'ai commencé à y penser quand j'avais la vingtaine", nous expliquait-il en janvier 2018 dans le cadre du Paris Images Digital Summit dont il était l'un des invités. "Je cherchais une façon d'utiliser les techniques d'effets spéciaux de l'époque pour créer quelque chose qui soit plutôt de l'ordre du collage, dans la manière dont les éléments visuels s'assemblent et sur le plan narratif également."
Mad God s'est davantage développé de manière inconsciente qu'intentionnelle. Il m'a fallu des années pour parvenir à déterminer ce dont je voulais parler
"C'est expérimental, pour moi, dans le sens où je joue avec différentes stratégies narratives, comparé à un film de cinéma classique avec un début, un milieu et une fin. Tout a vraiment débuté lorsque j'étais très jeune, car je dessinais toujours des monstres, des dinosaures. Et mon père, qui était un artiste et avait une collection de livres, m'en a montré un sur le peintre Jérôme Bosch."
"Il s'est clairmement passé quelque chose dans mon esprit lorsque j'ai découvert Le Septième Voyage de Sinbad. Puis le livre sur Bosch. Je suis partisan du fait de prendre le temps et de laisser les choses mijoter, et Mad God s'est davantage développé de manière inconsciente qu'intentionnelle. Il m'a fallu des années pour parvenir à déterminer ce dont je voulais parler."
L'ÉTRANGE UNIVERS DE M. PHIL
Situé dans un monde labyrinthique qui rappelle aussi bien le Pays des Merveilles d'Alice et de M. Jack que l'univers d'Hellraiser, ce film en stop-motion sans paroles, traversé par quelques acteurs de chair et d'os, est un véritable déluge d'images cauchemardesques et marquantes. Même si le côté expérimental et radical peut rebuter, et qu'il n'est clairement pas à mettre devant tous les yeux.
Mais son histoire côté coulisses est aussi folle que ce qui défile sous nous yeux pendant un peu plus de 80 minutes. C'est à la fin des années 80, après avoir travaillé sur Robocop 2, que Phil Tippett se lance dans un projet qu'il n'imagine alors pas aussi haletant. Auteur du court Prehistoric Beast, dont on retrouvera des traces dans le téléfilm documentaire Dinosaur !, il décide de passer au long avec une ambition folle.
Et le projet manque de peu de tourner court quelques années plus tard. Engagé pour travailler sur les dinosaures de Jurassic Park, il voit finalement Steven Spielberg opter pour l'animation en images de synthèse et craint de vite devenir obsolète lorsque les ordinateurs viendront supplanter le stop-motion. Ce ne sera certes pas le cas, mais il faudra encore patienter de nombreuses années avant que Mad God ne soit visible par le public.
Le scénario original ne fait pourtant que douze pages, mais il faut longtemps pour donner vie à l'univers et aux créatures nés dans son esprit. "Le tournage a débuté il y a une trentaine d'années, sur de la pellicule 35mm, mais c'est devenu trop gros pour moi. Puis la révolution numérique est arrivée donc j'ai dû repenser les choses, j'ai eu des enfants et je n'avais plus le temps."
"Mais j'ai pu former des superviseurs, qui m'ont permis d'avoir un peu moins les mains sur les projets auxquels je participais, et un peu plus de temps pour plancher sur Mad God."
"Et j'ai pu recruter des volontaires, nostalgiques de cette époque pré-trucages numériques, pour relancer Mad God. Nous avons parfois pu être jusqu'à quinze et nous nous retrouvions chaque samedi : j'essayais de préparer les choses à tourner pendant la semaine pour que nous puissons avancer ensuite."
Lancée en 2010, une campagne de financement participatif lui permet de récolter 124 156 dollars (soit la quasi-totalité du budget de Mad God, qui s'élèverait à 150 000) et d'avancer définitivement vers la concrétisation du projet de sa vie... qui lui prend encore un bout de temps. Mais il donne régulièrement des nouvelles de son bébé en postant des extraits en ligne qui, mis bout à bout, représentent la moitié du film.
Lequel est achevé en 2021, année de sa présentation à L'Étrange Festival et à Sitges, d'où il est reparti primé. Et il faudra encore patienter un peu moins de deux ans pour qu'il se sorte dans les salles françaises. Une véritable expérience visuelle et sonore, qui aurait pu tomber à l'eau de nombreuses fois, mais que son auteur n'a jamais lâchée. Moralité : croyez en vos rêves, aussi sombres, bizarres et inquiétants soient-ils.