ÇA PARLE DE QUOI ?
Quelques mois après mai 68, Robert, normalien et militant d’extrême-gauche, décide de se faire embaucher chez Citroën en tant que travailleur à la chaîne. Comme d’autres de ses camarades , il veut s’infiltrer en usine pour raviver le feu révolutionnaire, mais la majorité des ouvriers ne veut plus entendre parler de politique.
Quand Citroën décide de se rembourser des accords de Grenelle en exigeant des ouvriers qu'ils travaillent 3 heures supplémentaires par semaine à titre gracieux, Robert et quelques autres entrevoient alors la possibilité d'un mouvement social.
GRÈVE PARTY
Selon le philosophe allemand Arthur Schopenhauer, l'Histoire ne serait pas une ligne droite mais une boucle, dont les événements seraient amenés à se reproduire à intervalles réguliers et sous diverses formes. Et il est difficile de ne pas adhérer à cette théorie lorsque l'on voit L'Établi, sorti ce mercredi 5 avril 2023 dans les salles françaises, alors que le mouvement d'opposition à la réforme des retraites ne faiblit pas.
Si un peu moins de cinquante-cinq années séparent l'époque à laquelle se déroule le film de Mathias Gokalp (qui avait déjà exploré le monde du travail dans Rien de personnel en 2008) et celle de sa sortie, les échos sont nombreux. Jusque sur l'affiche surmontée de la tagline suivante : "Infiltré, il prépare la révolution."
Un terme qui revient souvent lors des manifestations actuelles et qui anime le personnage joué par Swann Arlaud, qui incarne Robert Linhart, l'auteur du livre dont le long métrage s'inspire. Soit un professeur d'université, militant d'extrême-gauche, qui parvient à se faire embaucher sur les chaînes de montage de l'usine Citroën afin de raviver la flamme révolutionnaire qu'il juge éteinte chez les ouvriers depuis la fin des mouvements de Mai 68.
Mais il se heurte à deux obstacles consécutifs : le refus de ses nouveaux collègues de se mêler de la politique, puis une décision arbitraire de leurs supérieurs, qui lui permet de devenir meneur de la fronde. Cinq ans après une première adaptation au théâtre, L'Établi connaît les honneurs du cinéma, le temps d'un long métrage porté par un casting des plus solides, où Swann Arlaud, Olivier Gourmet et des acteurs moins connus tels que Malek Lamraoui (Oussekine) font face à Denis Podalydès.
Mélanie Thierry est également à l'affiche de cet Établi certes classique dans sa mise en scène et son récit, mais qui ne perd pas de vue les notions de déshumanisation, d'injustice et d'inégalités sociales qui sont au cœur de son modèle. En plus d'être personnel pour le réalisateur : "J’ai grandi dans la bourgeoisie où l’éducation cherche à développer les qualités des individus, à ce qu’ils se découvrent eux-mêmes et s’améliorent", raconte Mathias Gokalp.
Des enfants de ma classe d'âge étaient absorbés et broyés par cette machine
"En lisant ce livre, je m’apercevais que le monde ne fonctionnait pas du tout sur ce principe et que la société avait pour principal objectif de fabriquer des travailleurs et des forces de production. Des enfants de ma classe d’âge n’avaient pas les moyens de faire des études et devaient travailler plus tôt qu’ils ne l’auraient souhaité. Ils étaient absorbés et broyés par cette machine."
"L’Établi disait très clairement la violence, l’absurdité, la folie et le caractère impersonnel de cette machine." Une violence qui, à l'écran, se manifeste de façon physique et morale, jusque dans le dénouement, qui frappe par son ton désabusé. Comme un dur rappel à la réalité.