Une fable sombre et politique
URSS, 1938. Au pic de la Grande Terreur, une période d’intense répression politique, Josef Staline purge ses propres rangs. Les hommes qui mettent en œuvre la répression sont eux-mêmes arrêtés et exécutés à la moindre attitude suspecte.
Se sachant à son tour condamné, le capitaine Volkogonov doit s’échapper. Il s’engage alors dans une course éperdue pour quitter sa ville, traqué par ses anciens camarades. Dans sa fuite, il est frappé d’une vision : pour sauver son âme, il doit se confronter aux familles de ses victimes et obtenir leur pardon.
Si les grandes lignes de son synopsis semblent le rattacher au genre du thriller, Le Capitaine Volkonogov s’est échappé parvient à transcender cette limite pour atteindre des sommets. De par son cadre éminemment politique et historique, il brille en effet d’un réalisme glaçant dans son rapport aux faits traités sans fioritures, mais n’en perd pas pour autant la force de son principal vecteur, l’image.
Un tableau historique à la violence glaçante…
C’est que le film de Natalya Merkoulova et Aleksey Chupov enchaîne les scènes “coup de poing”, qui percutent le spectateur et gravent sur ses rétines ébahies les exemples concrets des dérives autoritaires du système soviétique.
Espionnage, tortures, exécutions… Autant d’actes violents représentés avec une précision quasi documentaire, mais toujours très cinématographique. La discrétion de la bande-originale, voire son absence totale dans certaines séquences, vous permet de saisir le moindre souffle haletant, le moindre éclat de balle ou le moindre bruit de pas pour vous retrouver au cœur de l’action.
Le Capitaine Volkonogov s’est échappé est donc à réserver à un public averti, mais pas nécessairement féru d’Histoire. Car si le cadre historique correspond bien à une réalité passée, la fluidité de l’intrigue et la caractérisation de ses personnages suffisent amplement à en saisir les enjeux. Une plongée vertigineuse dans l’une des époques les plus obscures, et qui heurte autant qu’elle instruit.
… mais brûlant de conviction
Après une première très remarquée dans la compétition de la Mostra de Venise, une récompense au festival européen des Arcs ou encore à l’Étrange Festival, le long-métrage de Natalya Merkoulova et Aleksey Chupov est depuis interdit en Russie. Le cadre de son intrigue, qui relate la Grande Terreur de 1938, ne semble pourtant pas si éloigné de notre réalité qu’il n’y paraît.
Des architectures aux dirigeables soviétiques, des rues pavées aux ghettos reculés, la fuite désespérée de Volkonogov embarque le spectateur à travers le temps et l’espace pour l’emmener dans sa dure réalité.
Mais cette réalité se confronte à des libertés historiques et des détails anachroniques qui se multiplient pour nouer autant de parallèles entre la Russie terrifiée de Volkogonov et celle qui nous est contemporaine (la présence de graffitis, les costumes des soldats du NKVD qui peuvent évoquer une milice actuelle…). La Grande Terreur ne semble tout à coup plus si lointaine…
Saisissant de conviction dans le rôle-titre, Yuriy Borisov n’en est plus à son coup d’essai. En effet, le jeune acteur s’est récemment illustré dans La Fièvre de Petrov de Kririll Serebrennikov, ou encore Compartiment n°6, César et Golden Globe du Meilleur film étranger en 2022.
Sa performance de bon petit soldat inébranlable chez qui naît le doute est troublante. Malgré ses actes répréhensibles, l’attachement est inévitable et le besoin de connaître son destin vous tiendra en haleine jusqu’au générique de fin.
Le Capitaine Volkonogov s’est échappé est à découvrir dès le 29 mars au cinéma.