Lorsque Lib, jeune infirmière anglaise, est appelée en Irlande pour observer une fillette de 11 ans, elle ne sait pas encore ce qui l’attend. Sur place, elle entend parler d’une “merveille”, d’un “miracle”. Sa patiente ressemble pourtant à toutes les enfants de son âge. Il n’en est rien. Depuis quatre mois, elle prétend survivre sans manger.
Cette énigme est le point de départ de The Wonder, huitième film du Chilien Sebastián Lelio - oscarisé en 2018 pour Une femme fantastique, drame qui aborde le thème de la transidentité.
C’est dans un tout autre genre que le réalisateur poursuit sa trajectoire. Il signe cette fois un thriller brillant, empreint de mystère et formidablement porté par son actrice principale, Florence Pugh.
Avec cette histoire, le cinéaste adapte le roman éponyme d’Emma Donoghue - auteure de Room, également transposé au cinéma en 2015. Il s’intéresse surtout à un phénomène qui a réellement existé : les fasting girls - en français, les filles qui jeûnent.
Durant l’époque victorienne, ces adolescentes affirmaient être choisies par Dieu et investies d'une mission. Portée par une soudaine notoriété, leur famille y voyait un moyen de gagner de l’argent. Les curieux se ruaient au chevet des "élues" et chaque visite était monétisée.
Au cœur du film, cette supposée anomalie est d’autant plus troublante qu’elle survient quelques années après la Grande Famine irlandaise qui a causé un million de morts entre 1845 et 1852.
Ce sujet fascine Sebastián Lelio : “Il y a toujours eu un lien très particulier entre le sacrifice et le mysticisme au cours des siècles passés. J’ai grandi au Chili, qui est un pays très catholique, et j’ai, inconsciemment, baigné dans ces idées. Mais je ne connaissais rien de ce phénomène qui me semblait unique.”
Nos vies entières sont faites d'histoires.
Dans The Wonder, deux mondes s'entrechoquent : la science et la religion. L'esprit rationnel de l'infirmière se heurte aux convictions d’une communauté isolée. “Je voulais faire un film sur le danger du fanatisme à une période où la raison entre en collision avec diverses croyances”, explique le réalisateur.
Comme une enquêtrice sur une scène de crime, l’héroïne doit déceler et comprendre la vérité. Pour y parvenir, c’est tout un système qu’il lui faut déconstruire. En opposant la foi à la pensée cartésienne, Sebastián Lelio questionne également le pouvoir de la fiction et ce, dès son plan d’ouverture où il brise le quatrième mur.
"Nos vies entières sont faites d'histoires, précise-t-il. Notre monde est une histoire à laquelle nous croyons collectivement, tout comme la démocratie ou l’argent. Et aujourd'hui, à l'ère d'Internet et de Twitter, chacun d'entre nous devient un conteur."
Si le film se déroule au XIXe siècle, son message fait écho aux préoccupations actuelles, comme la propagation des fausses informations et des théories complotistes.
"Sur les réseaux sociaux, des groupes se forment et se multiplient en nombre astronomique, souligne-t-il. Il suffit qu'une personne affirme que la Terre est carrée pour qu'elle soit lue et suivie par trois millions d'adeptes en un clin d'œil."
Avec subtilité et intelligence, The Wonder met en garde les spectateurs sur ces dérives. “Si la fiction habite notre monde et traverse nos vies, quelles histoires choisissons-nous de croire ?, demande Sebastián Lelio. Et surtout, la question la plus importante : saurons-nous trouver la vérité ?”
Propos recueillis par Thomas Desroches, à Paris, le 16 octobre 2022.
The Wonder est disponible sur Netflix.