À Las Piedras, coin perdu d'Amérique centrale, sorte de ville frontière à la population hybride, le travail manque. Sous le soleil, chacun noie son ennui dans l’alcool. Non loin de là, la SOC, une compagnie pétrolière américaine, fait la pluie et le beau temps des embauches.
Un jour, elle réclame quatre volontaires pour conduire deux camions chargés de nitroglycérine afin de souffler l’incendie d’un puits situé à 500 kilomètres. Pour 2 000 dollars, Mario, Jo, Luigi et Bimba s'engagent dans ce voyage au péril de leur vie…
Odyssée funeste de quatre personnages au bord du gouffre mis en scène par un Henri-Georges Clouzot au sommet de son art, Le Salaire de la peur, diffusé ce soir sur Arte, n'a pas pris une ride depuis sa sortie, il y a 70 ans.
Thriller haletant tourné non pas en Amérique Centrale mais en Provence, non loin de Nîmes, le film fera un triomphe dans les salles françaises, avec 7 millions d'entrées, en plus de remporter le Grand Prix (ancêtre de la Palme d'or) du Festival de Cannes en 1953, ainsi qu'un Ours d'or à la Berlinale pour le cinéaste.
La toile de fond du film s'inscrit d'ailleurs tout à fait dans l'actualité politique : la mainmise des sociétés pétrolières américaines sur les ressources locales, en exploitant les travailleurs locaux payés une misère.
Le discours violemment anticapitaliste contre une Amérique qui dévore les petites nations d'Amérique Centrale ne sera justement pas vraiment du goût du pays de l'oncle Sam, comme le rappellera le Time dans sa critique du film, qui écrivait qu'il s'agissait "de l'un des films les plus maléfiques jamais réalisés". Pour l'anecdote d'ailleurs, il sera même interdit de projection au Guatemala...
A sa sortie en 1955 dans une Amérique très puritaine, Le Salaire de la peur sera amputé par son distributeur DCA de 55 minutes (et non de 43 min), réduisant drastiquement le film à sa simple dimension spectaculaire, expurgeant aussi les subtils sous-entendus homosexuels, entre les personnages de Mario (Yves Montand) et Jo (Charles Vanel). Il faudra attendre le début des années 1990, grâce à l'éditeur US cinéphile par excellence, Criterion, pour que le public américain découvre le film dans sa version intégrale.