Alain Resnais : "Ce que j'aime, c'est expérimenter" - Page 4

Jacques Bonnaffé et André Marcon dans "36 vues du Pic Saint-Loup" de Jacques Rivette

Ah oui, je ne l’avais pas vu, mais le titre me plaisait beaucoup. Bien sûr, j’ai eu des conversations passionnantes avec Jacques Rivette, notamment quand il tournait ses premiers films : comment se servir du son au cinéma, ce genre de questions… Je l’admire. Et c’est quelqu’un de passionné, de véhément, c’est chouette !

Comme lui, vous êtes passionné par les acteurs. Diriez-vous qu'ils sont co-créateurs des personnages ?
Ah oui. Et même co-créateurs du film. Quelquefois, j’entends dire : "C'est terrible : sur les affiches, on montre les comédiens, pas le metteur en scène". Mais moi-même, qu’est-ce qui me fait me déplacer pour aller voir un film à l’autre bout de Paris ? J’exagère un peu, mais c’est quand même la présence du comédien… Pour prendre un exemple contemporain mais très banal, si je vois George Clooney sur une affiche, je ne regarde même pas le nom du metteur en scène, j’ai envie de voir le film tout de suite !

Avez-vous le souvenir d'avoir ressenti un peu de plaisir lorsque vous étiez sur scène, adolescent, au Cours Simon ?

Peu de plaisir d’être sur scène, car je n’arrivais pas du tout à savoir quand j’étais bon ou mauvais, sur quel bouton il fallait appuyer… J’avais trop le trac. Mais le plaisir intense, c’était, sortant du collège des Jésuites Saint-François Xavier, de me retrouver dans le monde des comédiens. Il y en avait 80 ou 90 chez Simon. Enfin je respirais !

Vous avez souvent dit qu'"On connait la chanson" était pour vous un documentaire. Diriez-vous que "Vous n'avez encore rien vu" est un documentaire sur les acteurs -d'autant plus qu'ils portent leur vrai nom ?

Je n’ai pas pensé si loin. Mais maintenant que c’est fini… Oui, pourquoi pas : un film sur la passion des acteurs. C’est sûr qu'en gardant leur vrai nom dans le film, ils se compromettaient ! C’était drôle : quand j’ai remis le script au producteur, il m’a dit : "Mais je n’ai plus à faire de casting puisque vous avez mis tous les noms ! Mais vont-ils accepter ? » Et ils ont accepté, je n’ai eu à faire aucun changement.

Dans le film, un même personnage est joué par plusieurs comédiens. Dans " Smoking"/"No Smoking", c'était l'inverse : Sabine Azéma et Pierre Arditi jouaient une douzaine de rôles à eux deux !
Oui. Smoking/No Smoking, c’était un autre défi ! Quand j'ai dit à l'auteur Alan Ayckbourn que j’avais choisi de filmer cette pièce, il a beaucoup ri et m'a dit : " C’est certainement la réponse à laquelle je m’attendais le moins ! Vous êtes encore plus fou que moi… Mais allez-vous trouvez des producteurs plus fous que nous ?" On a quand même trouvé… Dans ce nouveau film, le dramaturge Antoine D’Anthac convoque des comédiens qui ont joué dans Eurydice il y a dix, vingt, trente, quarante ans. Il leur demande d’assister à la captation d’une jeune compagnie et se décharge sur eux de prendre la décision de donner les droits ou pas. A quoi assiste-on ensuite ? Je n’ai pas la réponse… Est-ce une prise de possession, une espèce d’hypnose, une crise de somnambulisme des spectateurs de la pièce ? Ou voit-on simplement ce qu’il y a dans leur tête, leur souvenir des rôles qu’ils ont joués ?

Dans tous les cas, il y a l’idée que les individus sont des êtres multiples. Un des personnages dit d'ailleurs : « On n’est jamais seul. »
Nous sommes presque « victimes » de nos humeurs, qui sont le produit des échanges biochimiques entre notre cerveau et notre corps. Dès lors, il y a peu de place pour le libre arbitre. Il y a quelques années, j’étais d’accord avec Jean Daniel, du Nouvel Observateur, qui parlait d'une dose de 6% de libre arbitre chez l'être humain, mais aujourd’hui je dirais plutôt 0% !