Orson Welles le considérait comme "le plus grand acteur ayant jamais vécu", et il est bien difficile de remettre en cause les paroles du réalisateur de Citizen Kane. Gueule parmi les plus marquantes de l’Histoire du Cinéma, Jules Muraire naît avant le 7è Art, en 1883, mais se tourne très vite vers le milieu du spectacle. Il n’a en effet que 16 ans lorsqu’il fait ses premiers pas, naviguant entre cafés-concerts et guinguettes, mais sans succès. Une série de petits boulots plus tard, il monte sur les planches, à Marseille, prend le pseudonyme de Raimu, et se fait enfin remarquer.
C’est le moment que choisit Félix Mayol, chansonnier et directeur de music-hall, pour le faire monter à Paris, où il repasse par la case "café-concert", jusqu’en 1914, alternant les représentations avec des petits rôles dans des films muets tels que "L’Agence Cacahuète", Godasse fumiste ou "L’Enlèvement de Vénus", dans lesquels il passe inaperçu. Il faut dire que l’un des forces de Raimu, c’est sa voix, tonitruante, avec un accent méridional très prononcé, qu’il travaille davantage sur les planches, grâce notamment à Sacha Guitry ou Marcel Pagnol.
Deux hommes qui joueront également un rôle majeur dans le décollage de sa carrière cinématographique, au même titre que Marc Allégret. C’est en effet sous la direction de ce dernier qu’il s’essaie au cinéma parlant, le temps d’adaptations de pièces qu’il avait déjà jouées, à commencer par Le Blanc et le Noir ou Mam'zelle Nitouche, en 1931. Et si le courts muets de Raimu sont passés inaperçus, la donne change très vite grâce aux longs parlants, et ce dès cette même année 1931 : à l’affiche de Marius, premier volet de la trilogie tirée des écrits de Pagnol, il impose sa présence dans le rôle de César, père du héros de ce classique instantané.
Suivront Fanny (1932) et César (1936), réalisé par Pagnol lui-même. Un réalisateur qu’il retrouve deux ans plus tard pour ce qui restera son plus grand rôle : celui du mari cocu de La Femme du boulanger, où il livre une de ses prestations les plus touchantes, avant de remettre ça, en 1940, dans La Fille du puisatier, signé du même auteur. Entre temps, Raimu aura enchaîné les tournages à un rythme aussi impressionnant que lui, apparaissant dans 4 films minimum par an, à la fin des années 30 : de Sacha Guitry (Faisons un reve, Les Perles de la couronne) à Julien Duvivier (Un carnet de bal), en passant par André Berthomieu ("La Chaste Suzanne", Les Nouveaux riches) ou Jean Grémillon (L'Etrange Monsieur Victor), les réalisateurs du moment font de lui l’acteur majeur de l’avant-Guerre.
Vu dans l’unique réalisation de Pierre Fresnay (Le Duel), son fils dans la trilogie de Pagnol, Raimu s’éloigne un peu des écrans au moment où la Seconde Guerre Mondiale éclate, par choix et malgré la cour de la société allemande Continental Films, pour laquelle il tourne néanmoins Les Inconnus dans la maison d’Henri Decoin, en 1942. L’année suivante, il revient sur les planches par le biais de la prestigieuse Comédie Française, dont il devient sociétaire en 1944. Mais l’expérience tourne court car, après des adaptations du "Bourgeois Gentilhomme" et du "Malade imaginaire", sa présence sur scène se voit réduite au strict minimum, beaucoup de projets tombant à l’eau par la même occasion.
Soutenu par Marcel Pagnol, il revient au cinéma à partir de 1945, sous la direction de Julien Duvivier d’abord (Untel père et fils), puis celles de René Le Hénaff et Pierre Billon, pour lesquels il tourne Les Gueux au paradis et L'Homme au chapeau rond, qui sera son dernier film, puisqu’une crise cardiaque dûe à une allergie à l’anesthésiant utilisé pour une opération bénigne l’emporte le 20 septembre 1946, à quelques mois de ses 63 ans. Beaucoup trop tôt pour certains comme Orson Welles qui avait débarqué dans le bureau de Marcel Pagnol en demandant à voir Raimu, qui venait de mourir. Ce sur quoi le futur auteur de La Soif du mal a fondu en larmes, résumant au passage la pensée de beaucoup : "C’était le meilleur de nous tous !"
Auteur : Maximilien Pierrette