En quarante-sept ans de carrière, Billy Wilder aura réalisé 26 longs métrages dont au moins sept sont presque unanimement considérés comme des chefs d’œuvre absolus chacun dans son domaine. « Assurance sur la mort » en 1944, « Poison » en 1945, « Boulevard du crépuscule » en 1950, « Le gouffre aux chimères » en 1951, « Sabrina » en 1954, « Certains l’aiment chaud » en 1959 ou encore « La garçonnière » en 1960, multi-récompensés sont intemporels et contribuent à faire de Billy Wilder l’un des plus grands réalisateurs ayant jamais exercé à Hollywood. Les autres films restant hormis peut-être six anecdotiques (« L’odyssée de Charles Lindbergh » en 1957), un peu moins inspirés (« La grande combine » en 1966, « Victor la gaffe » en 1975) ou hors de son champ de compétences (« La valse de l’empereur » en 1948) sont autant de réussites passionnantes et toujours parfaitement maîtrisées. « Poison » est un film à part, traitant pour la première fois de manière frontale et sans posture morale du drame de l’alcoolisme que Wilder venait tout d’approcher intimement après la fréquentation de Raymond Chandler qui avait écrit pour lui le scénario d’ « Assurance sur la mort » . C’est après avoir lu dans un train le roman de Charles R. Jackson qu’il décide avec Charles Brackett de l’adapter. Charles Brackett connaît lui aussi le problème de l’addiction à travers son épouse qui dû être internée plusieurs fois. Après avoir pensé à José Ferrer pour tenir le rôle principal de l’écrivain alcoolique en mal d’inspiration, Wilder se tourne vers Ray Milland qu’il a déjà dirigé dans « Uniformes et jupons courts » (1942). Le titre original « The lost week-end » s’il est moins explicite quant au sujet du film que sa transposition française, lève sans doute une partie du voile sur la conclusion heureuse de ce week-end qui n’est peut-être qu’un parmi une longue suite. Cette nuance non négligeable donne un autre éclairage a ce qui été jugé comme un happy-end convenu et typiquement hollywoodien par une partie de la critique française. Dans un New York voulu réaliste par Wilder, Don Birman n’est à l’image de l’agent d’assurance interprété par Fred MC Murray dans « Double Indemnity » qu’un quidam moyen n’ayant d’écrivain que la qualification qu’il s’est auto-attribué avec la complaisance un peu coupable il faut bien le e dire de sa petite amie (Jane Wyman) et de son frère (Phillip Terry), prêts jusqu’alors à toutes les compromissions pour sortir l’être aimé de son addiction. Suivant presque exclusivement Don tout au long de ce « week-end perdu » après qu’il a sans doute une fois de plus refusé une séance de travail à la campagne, Billy Wilder comme à son habitude n’occulte rien du sujet qui l’occupe, notamment toutes les petites bassesses (mensonge, dissimulation, vol, racolage,…) de celui qui est prêt à tout pour dénicher encore un peu de l’indispensable breuvage. Le réalisateur, on le sait, n’est jamais plus à l’aise que face à la tentation inassouvie et à la frustration qu’elle déclenche. Ne lâchant jamais un Ray Milland particulièrement convaincant dans un rôle à contre-emploi, Wilder crée une ambiance étouffante qui montre bien l’enfermement dans lequel se trouve celui qui est prisonnier de dame bouteille. « Dame bouteille » comme le titre du roman jamais commencé dont Don illusionne de pouvoir faire un best-seller. Il a laissé le soin à Billy Wilder de s’en charger. Bien lui en a pris.