Tavernier est mon réalisateur français préféré (jusqu'à "Capitaine Conan"). C'est dans les films historiques que son art s'exprimait le mieux, car il avait cette capacité à parler de la grande histoire, des rapports dominants/dominés, de la lutte des classes, en s'approchant au plus près de l'individu. Il n'est donc pas étonnant de retrouver "La vie et rien d'autre" dans ses meilleurs films, tant le carnage de la première guerre mondiale lui donnait matière à exposer ses idéaux en dénonçant la monstruosité politique de la chose et le sacrifice collectif épouvantable qui en a résulté. Tavernier réussit l'exploit de faire l'un des meilleurs films de guerre alors qu'elle est terminée depuis deux ans, qu'il n'y a pas un seul combat, et pourtant il y a toujours une tension, un sentiment de danger permanent à cause des bombes encore présentes dans les sols. On a aussi l'impression que cette guerre n'est pas finie, car tout se passe dans le cadre militaire, il n'y a quasiment que des soldats, on est sur des terrains massacrés et dans des villages en ruine, comme si tout ça n'était finalement qu'une pause avant la prochaine boucherie. Et au milieu de tout cela, quelques dizaines de civils perdus qui recherchent désespérément un proche disparu, qui regardent des objets ramassés sur les champs de bataille pour essayer de trouver une preuve de leur mort et enfin pouvoir faire leur deuil. Et Tavernier choisit de nous montrer ces personnages très secondaires, ils existent dans le film, ils sont palpables, et ils permettent de passer tant d'émotions, même plus que le duo Noiret/Azéma qui a un rôle plus didactique. Car Tavernier aimait surligner son propos - parfois un peu trop -, et c'est à travers ces deux personnages qu'il va instiller toute sa pensée politique, sociale, et son sentiment profond d'antimilitariste au travers de phrases chocs. "La vie et rien d'autre" est ainsi un film de guerre qui ne parle que de violences morales, de vies brisées, de désespoir, il n'y est pas question de grands faits d'armes mais de la glorification à des fins politiques du sacrifice de millions de vies (d'où l'histoire parallèle de la recherche du soldat inconnu presque tournée en dérision). "La vie et rien d'autre" est un film lent mais prenant et fascinant, terriblement émouvant, l'une des plus belles œuvres sur les conséquences de la guerre.