Donner un 5/5 peut paraître très généreux quand on prend un peu de recul après visionnage, mais en "Irréversible", je ne vois que des bonnes raisons de voir ce film. 1°/ Un sacré risque pris par le réalisateur Gaspar Noé en optant pour un exercice de style très particulier et que je ne connaissais pas, et qui s’avère limite dérangeant. Ce qui va vous interpeller en premier lieu est le générique de début aux airs de générique de fin, sauf qu’il défile en sens inverse du sens normal. En effet, le cinéaste a choisi de mettre en place une narration qui se fait à l’envers, pour remonter peu à peu dans le temps, après s’être servi d’une conversation entre deux pauvres gars en guise de prétexte pour nous amener à l’endroit qui nous intéresse, un lieu au drôle de nom duquel on voit sortir Vincent Cassel sur un brancard, et Albert Dupontel avec les menottes aux poignets. Ainsi, le spectateur s’interroge sur le pourquoi de la situation présente, et il en sera ainsi à chaque réponse apportée : comment en sont-ils arrivés là ? Spécial, hein ? Oui, ça l’est. La façon de filmer et les longs plans-séquence ont de quoi désarçonner le spectateur, avec cette caméra qui ne cesse de bouger dans tous les sens, d’autant plus que l’ambiance est des plus glauques, dont la noirceur va être portée d’une part par la partition aussi inquiétante que l’ambiance, et d'autre part par le lieu lui-même dans lequel Gaspar Noé nous invite à entrer pour y retrouver Cassel et Dupontel. 2°/ Un pouvoir pédagogique, pour sa possible utilisation à la fois informative et préventive vis-à-vis de nos adolescents, car ce qui nous est présenté peut arriver à n’importe qui, n’importe où, et n’importe quand. Le tout est de prendre la précaution de leur dresser un rapide topo quant à la construction du film avant qu’ils ne nous disent que ça a l’air d’une débilité sans nom. Et c’est aussi en cela que le titre est bien choisi. D’abord le sujet : "Irréversible" traite d’un phénomène de société plus d’actualité qu’on veut bien l’admettre (ça, c’est pour le côté œillères que nous nous mettons), et qui laisse des traces (et c’est triste à dire) indélébiles et définitivement irréversibles. Ensuite, le titre donne d’une certaine façon le thème du film car le film commence par les conséquences quasi inéluctables des faits qui nous seront exposés ultérieurement. 3°/ Les émotions. Autant vous le dire, vous allez être choqués, dégoutés, voire scandalisés par les pratiques montrées dans leur vérité toute nue et de façon très crue d’un lieu réservé à un public averti. Mais ce n’est rien comparé à ce qui va suivre. Car résumer ce film aux seuls sentiments de scandale et de dégoût serait largement incomplet ; pire, ce n'est qu'une mise en bouche, si j'ose m'exprimer ainsi : c’est dur, puissant, glauque, malsain, violent, sauvage, sanglant, fort, intense, insoutenable, choquant, marquant. Le pire est que même en connaissant déjà ce film, j’ai été de nouveau pris aux tripes à la fois par l’histoire, mais aussi par le jeu d’acteurs. 4°/ Vous l’aurez compris, j’en viens au casting. Selon moi, que ce soit Vincent Cassel, Albert Dupontel, Monica Bellucci, ou encore Jo Prestia, ils sont tous parvenus à l’excellence dans leur interprétation. Le duo Cassel-Dupontel fonctionne très bien, l’un en chien fou qui a complètement déboulonné, l’autre en parfait ami. Quant à Bellucci et Prestia, ils nous servent une scène jamais vue au cinéma, d’une violence et d’une horreur si extrêmes, que vous aurez bien du mal à ne pas vous exprimer d’une façon quelconque, comme porter la main à votre bouche pour étouffer un cri d’effroi, si toutefois vous ne détournez pas le regard. Eh bien accrochez-vous, l’intégralité de cette scène-là dure en tout plus de 10 minutes, dont 9 minutes et quelques de pure horreur. 5°/ La psychologie des personnages. Si la première partie se pose en questions-réponses avec en point d’orgue un sacré choc, la seconde est plus légère et nous présente les personnages, pour bien dire que nous avons affaire à un couple ordinaire qui ne s’est absolument pas cherché le drame qui va s’abattre sur lui. Le plus fort est qu’après avoir été horrifiés, nous nous prenons à sourire avec nos trois larrons, car ce trio-là est irrésistiblement sympathique. Quoiqu’il en soit, et c’est la première fois que ça m’arrive, je donne ma mention spéciale d’interprétation d’abord à la force donnée par Cassel et à la fragilité de Bellucci pour avoir en prime osé jouer nus, mais aussi à Dupontel et Prestia, car ils sont tous les quatre plus que convaincants. Ils le sont tant, qu’on vit leur histoire, on vibre avec eux, ça nous prend aux tripes. Et puis ma dernière mention va à Gaspar Noé, pour avoir su replacer les choses à leur vraie place, et pour avoir su si bien représenter les tourments de l’esprit provoqués par le chaos total de la situation par l'intermédiaire de sa caméra tournant dans tous les sens, tout en ayant su la poser lors du drame comme si le temps s’était soudainement arrêté durant d’interminables minutes. 6°/ La musique : évidemment, "Irréversible" ne serait pas ce qu’il est sans la musique de Thomas Bangalter, laquelle se tait pour laisser la place à la puissance de certaines scènes alors qu’elle n’offre pas grand intérêt sans son support visuel. Pour avoir su ne pas cacher cette violence pourtant bien réelle, "Irréversible" ne vous laissera pas indemnes, dans un sacré exercice de style qui est bel et bien là, mais qui ne plaira pas forcément à tout le monde.