Voir Rochefort et Halliday jouer en duo est sans doute la chose la plus improbable qui me soit jamais arrivée, c'est ce qui fait le charme du film, je dirais même que ce duo spécial plante le décor, grâce à la force peu commune qu'il dégage. Rochefort joue, avec brio, un professeur de littérature retraité, célibataire et pantouflard, pourvu d'une extrême prévoyance et d'une verve presque attendrissante; Halliday lui renvoie la balle sous les traits d'un petit malfrat mutique et légèrement ténébreux à blouson de cuir, rôle qui lui convient parfaitement.
L'unique hôtel du patelin où Halliday a débarqué étant fermé, ce dernier se voit contraint de loger dans la grande maison ouverte à tout vents qu'habite Rochefort, mais dans trois jours, le truand attaquera la banque; dans trois jours, le professeur subira une opération cardiaque de la dernière chance; dans trois jours, leur chemins se sépareront. Les deux hommes, durant ce court délai, trouvent le temps de construire entre eux une sorte d'amitié, à mon avis basée sur l'envie qu'inspire à chacun le mode de vie de l'autre. Durant ces trois jours, ils rêvent en silence d'échanger leur vie. Mais ces rêveries ne sont qu'une parenthèse dans leur existence, trois jours de fantasmes et de chimères, jusqu'à ce que la réalité les rattrape, une réalité dans laquelle un honnête petit professeur ne devient pas un repris de justice, une réalité dans laquelle un gangster n'abandonne pas sa vie de juif errant pour aller enfiler des pantoufles dans une grande maison vide et passer le reste de ses jours à bouquiner dans un fauteuil, une réalité dans laquelle nos habitudes sont toujours plus fortes que notre volonté, dans laquelle on ne change pas de vie, jamais, dans laquelle on reste toute son existence ce que l'on est devenu, qu'on le veuille ou non. Mais le réalisateur nous livre aussi une réflexion sur la vie sédentaire : on sent bien l'idée que vivre et mourir dans la maison qui nous a vus naitre, nous et notre famille, n'est pas honteux, que ne jamais bouger et vivre éternellement dans un confort sans risque ne correspond pas au terme "avoir raté sa vie ", et surtout que la seule façon de rater sa vie c'est de ne pas réussir à l'aimer telle quelle est.