Je suis très partagée... Je ne me suis pas ennuyée, toute attentive à ce qui allait se passer le lendemain... Rien ou presque rien ... et ça ne m'a pas dérangée, d'autant que l'intention de Win Wenders est très certainement de nous montrer (et ce, trop à mon humble avis) où est l'essentiel d'une vie, bien loin de nos vies actuelles. Je ne détaille pas.
Cependant, je m'interroge face au personnage : s'épanouit-il dans cette vie réglée au millimètre près, rien n'est moins sûr. Ses beaux sourires m'apparaissent plus comme ceux d'un bienheureux candide qui "se force" que d'un homme heureux. Il s'accroche au « maintenant », à la routine, regarde avec grand plaisir les arbres, avec bienveillance les gens, même les plus indifférents à sa personne, ne parle pas. Sagesse pour se protéger lui et\ou désarroi ? Toutes les petites, minuscules mentions à sa vie d'avant m'ont, personnellement, invitée à voir un grand désarroi et une infinie fragilité : rencontre avec sa nièce, sa sœur et allusion au père, relation avec son jeune collègue, son pendant en négatif … Son rire aussi m'a fait mal tant il semble désespéré : jeu dérisoire et infantile des ombres et du loup avec le monsieur atteint du cancer, scène très gênante. Le choix de la musique de sa jeunesse (super par ailleurs), le futon, les livres à 1 dollar qu'il n'a pas l'air de vraiment choisir et qui sont deux œuvres assez angoissantes, on ne saura pas ce qu'il en fait... (Faulkner et Highsmith), nous n'avons que le regard laconique et apparemment averti de la libraire. Tout cet « extérieur » qui pourrait nous apprendre à l'appréhender un peu plus nous en apprend davantage sur Win Wenders que sur le personnage me semble-t-il... ce n'est pas un défaut en soi, mais on savait déjà beaucoup de Win Wenders depuis Paris Texas. Les larmes de la scène finale que l'on espère dues à la beauté de la musique que Hirayama écoute sont peut-être aussi l'expression de la réouverture de vieilles plaies, après toutes ces infimes perturbations du quotidien de celui-ci, que le scénario a remué. Et même ce sont peut-être des larmes que le cinéaste verse sur lui-même. Mais là, j'en fais trop...
Le beau et le laid. Tokyo ? Tokyo est aussi laide que toutes nos grandes villes modernes avec des routes tentaculaires, des lieux abîmés, voire délabrés partout : la laverie, le bas de son immeuble, les magasins, souvent vieillots, etc. Je n'ai vu aucune poésie dans cette ville et ça ne me donne pas envie de la visiter. Le regard lumineux que Hirayama porte sur les arbres est hebdomadairement anéanti par toutes les photos en noir et blanc (!) développées, ratées de ceux-ci. Le beau ? C'est le visage de cet homme, son regard, son sourire, et les toilettes high-tech très amusantes, résultat du projet de 2023 « The Tokyo toilet » dont s'inspire Win Wenders, mais aux antipodes de l’univers de notre protagoniste qui met paradoxalement une énergie et une conscience professionnelle incroyable à les garder impeccables. Peut-être encore un clin d’œil du cinéaste sur l'envers et l'endroit du personnage ?
Je n'ai pas été émue par ce film. Je l'ai trouvé beaucoup plus didactique que poétique. Win Wenders est bien plus philosophe que poète ici. On aurait pu lire dans ce film le Laid baudelairien transformé en Beau, mais ça n'a pas fonctionné avec moi. J'ai plutôt assisté aux larmes d'un vieux sage sur lui-même (Win Wenders) et c'est cela qui m'a fait tenir les deux heures.