Le changement que Victoria Musiedlak a vu s’opérer en quelques mois chez une jeune fille de son entourage, devenue avocate, a renforcé l’intérêt que la réalisatrice avait déjà pour la justice et ce métier en particulier. Elle se rappelle : "Comme Nora dans Première affaire, cette jeune fille, vivait chez sa mère. Elle était timide et débutante, et s’est retrouvée à vingt-cinq ans, envoyée en catastrophe aux Sables d’Olonne, à défendre un grand-père accusé d’inceste sur ses deux petites filles. Je l’ai vue se métamorphoser."
"La jeune fille que je connaissais est devenue une femme plus affirmée, indépendante mais aussi plus nerveuse. Comme la plupart des jeunes avocats, ce métier avait profondément modifié sa personnalité. D’un point de vue philosophique, rousseauiste, j’ai toujours trouvé passionnant l’impact que la fonction sociale a sur un individu."
Victoria Musiedlak a dû faire un gros travail de documentation avant d’écrire Première affaire. La cinéaste a ainsi lu beaucoup de PV d’auditions : "Les procès-verbaux me renvoyaient à la psychanalyse : la vie entière d’une personne se trouve étalée sur le papier. Secrets, textos, emploi du temps, tout ce qu’elle a voulu cacher refait surface. Les temps d’écoute et de parole sont notifiés, les pauses, comme chez le psy. Et, comme chez les Lacaniens, l’entretien se termine sur une phrase clé : 'Allez réfléchir, on se retrouve plus tard'. Ça m’a beaucoup plu."
"J’ai également suivi des procès aux assises et c’était intéressant de voir que même les coupables des pires crimes ont, quand ils parlent d’eux, un aspect humain et touchant. Et puis j’ai rencontré beaucoup d’avocats qui m’ont raconté leur début difficile. Le stress d’une première garde à vue, les lapsus nerveux, la première rencontre avec un meurtrier, la robe trempée lors de la première comparution… C’est un métier où se mêlent stress et adrénaline", raconte la cinéaste. Elle poursuit : "L'écriture est le domaine où je suis le plus à l’aise."
"J’ai écrit seule mais j’ai demandé à une amie scénariste, Elise Benroubi, de lire mon travail. Cette consultation m’a aidée à faire ressortir certains passages, en couper d’autres, à mettre du relief."
Pour Nora, Victoria Musiedlak cherchait une comédienne ayant des origines étrangères. Noée Abita avait non seulement des origines tunisiennes, italiennes et ukrainiennes, mais elle avait aussi quelque chose du personnage : "Menue, très dessinée, avec de grands yeux expressifs, une voix fluette... Noée avait cette grande jeunesse et à la fois, c’est une fille qui a une maturité étonnante. Elle est très intelligente, a une personnalité marquée, un point de vue particulier et construit sur la vie. Ce contraste m’intéressait chez elle."
"Elle et moi avons beaucoup travaillé sur cette opposition. Au début, le film joue sur la fragilité de son apparence – sa coupe de cheveux, les costumes trop grands qu’elle porte. Au fur et à mesure qu’on avance dans l’intrigue, on la voit assumer sa féminité, se forger une carapace, mûrir… Mais même lorsqu’elle est fragile, on perçoit tout un non-dit derrière. Noée était contente de s’accaparer un personnage qui a une fonction dans la société. Elle est aussi très sensible aux questions sur la justice et la morale", explique la réalisatrice.
Pour le sujet de Première affaire, Victoria Musiedlak avait pour référence des films comme Autopsie d'un meurtre, La Vérité et The Third Murder. En termes visuels, deux photographes ont inspiré la cinéaste : Alessandra Sanguinetti, avec The Adventures of Guille and Belinda (sur le passage de l’enfance à l’âge adulte, la mutation des corps, etc.) et Gordon Parks, pour ce qui est de l’univers policier et criminel. Elle note :
"Après, des films comme Faute d'amour d’Andrey Zvyagintsev ou Mother de Bong Joon-ho, que je considère comme deux chefs-d’œuvre, m’ont inspirée. Pour le travail sur les couleurs froides, le cadre, etc. Je tenais à ce que le film ait un réalisme fouillé – j’ai été nourrie au cinéma de Raymond Depardon, Faits divers, délits flagrants… – d’où le choix de tourner dans un vrai commissariat, à Arras, et dans une vraie prison, à Longuenesse."
"La cheffe déco a travaillé ce réalisme dans les autres décors. Et je voulais en même temps des couleurs, des costumes qui se fondent dans les décors… On a beaucoup travaillé le ton sur ton avec la cheffe costumière. Pour la construction de Nora, le documentaire En bataille, portrait d'une directrice de prison m’a aidée. C’est l’histoire d’une jeune énarque hypersensible qui se retrouve à gérer des cas violents et compliqués dans une prison."
Victoria Musiedlak et le directeur de la photographie Martin Rit ont travaillé à partir d’un dossier de trois cents pages où la cinéaste avait décortiqué et découpé le film : "Des idées de couleurs, de voilage… Tout était très précis, presque trop pour un premier long métrage ! Il a fallu s’adapter à la réalité des décors et des contraintes techniques mais également que Martin trouve sa place. Il m’a accompagnée dans mes choix, tout en proposant ses idées avec sa sensibilité."
"Il a été très présent en amont, pendant la préparation du film et a été mon interlocuteur artistique principal. Ensemble, nous avons travaillé sur une lumière en clair-obscur avec un jeu de couleurs spécifiques pour les différents univers – judiciaire et intime. Nous avons opté pour des cadres assez fixes et précis ; une mise en scène classique, assez construite et stylisée, qu’il s’agissait de faire contraster avec le réalisme des décors", se rappelle la réalisatrice.
François Morel, principalement connu pour ses hilarantes prestations dans Les Deschiens, incarne un patron cynique : "J’adore ce grand monsieur – autant humainement qu’artistiquement. Le milieu des avocats n’est pas tendre et cela m’amusait de lui faire jouer ce personnage nonchalant, qui se fiche d’à peu près tout ; un vrai contre-emploi. Pour écouter souvent ses chroniques sur France Inter, je connaissais son côté très lettré, qu’ont souvent un certain type d’avocats. Ils aiment la rhétorique et cultivent un profil intello. François partage cela avec eux."