Les gardiens de la mémoire
Quand on me propose un documentaire et qu’il est réalisé par l’allemand Claus Drexel, j’y cours. Qui n’a pas vu Aux bords du monde ou America, a forcément raté des grands moments de cinéma documentaire. 96 minutes, je sors à la fois bouleversé et heureux de cette suite de témoignages de nos anciens. Ils sont de toutes origines et ont vécu près d’un siècle. Ils ont traversé les bouleversements de l’histoire. Ils sont drôles, émouvants, rebelles. Ils nous surprennent et nous émerveillent. Pourtant, on entend rarement leur voix. Ce film est une invitation au voyage, à travers la France, à leur rencontre. C’est quoi être vieux ? À quel âge l’est-on ? Que peut-on encore apporter au monde dans lequel nous vivons ? Questions cruciales auxquelles répond ce film mémoriel, politique et émouvant qui devrait en faire réfléchir plus d’un.
Il y a la volonté de Claus Drexel d’écouter ces personnes âgées que notre société occidentale, centrée sur le productivisme et le profit, ne considère souvent plus que comme un problème. Pourtant, ces gens ont une expérience de vie bien plus grande que la nôtre ; ils représentent une richesse énorme mais on ne les entend pas. Ce formidable documentariste aime à donner la parole à ceux auxquels on ne la donne jamais : les sdf, les prostituées, les laissés pour compte de l’Amérique profonde… Pas de fioritures, pas de mouvements de caméras parasites, pas questions inutiles : à la manière de l’immense Depardon, ces anciens parlent, se livrent et nous enseignent ce qu’est la vie et quelle place la mort occupe désormais dans ce qui leur reste de temps à vivre. Ce tour de France - Alsace, Nord, Bretagne, Pays Basque, Auvergne, Corrèze, Cantal, Les Cévennes, les Alpes, la Corse… -, du 4ème âge est jalonné de plans de coupe admirables de beauté mais qui finissent par lasser un peu… C’est bien là le seul reproche que je ferai à cet immense documentaire qui devrait être montré dans les écoles, les collèges et les lycées tant il sait nous apprendre que le repli communautaire, quel qu’il soit, n’est pas une fatalité. Il est possible de vivre harmonieusement ensemble. Le monde est ce que nous en faisons. Mais pour quelle triste raison, est-il beaucoup plus facile de propager la haine de l’autre que l’ouverture à l’inconnu, à celui qui est différent.