Acide est d’abord un court métrage que Just Philippot a réalisé en 2018. En 2013, le réalisateur a déménagé de Paris à Tours, où il a fait énormément d’éducation à l’image auprès d’un public jeune avec qui il a beaucoup tourné. En parallèle, il a développé plusieurs projets très différents dont Gildas a quelque chose à nous dire, un documentaire intimiste sur son frère polyhandicapé. Fort de cette relation avec les institutions culturelles de la région Centre Val de Loire, Just a intégré une résidence de film de genre financée en partie par Ciclic, l’agence du cinéma en région Centre. C’est là qu'il a écrit le court métrage Acide. Il se rappelle :
"Effet d’aubaine ou coup de chance, j’arrivais à un moment où le cinéma français, sans doute inspiré par le succès des séries et le bouleversement lié à l’arrivée des plateformes, cherchait de nouvelles créations, plus hybrides, plus à même d’aller chercher tous les types de publics. Grâce au succès du court métrage, j’ai basculé vers le long-métrage avec La Nuée, un projet issu, lui aussi, de la même résidence. J’ai réalisé ce premier film avec le désir de m’éloigner le plus possible du cinéma américain pour proposer un climat singulier, capable d’emmener le spectateur dans une zone de danger trouble, instable, mais toujours extrêmement réaliste."
"Grâce à la société Bonne Pioche Cinéma que j’ai rencontré très vite, j’ai pu développer le long métrage d’Acide en parallèle. La Nuée, mon premier long-métrage, a été une formidable première expérience et m’a permis de nourrir de nouvelles ambitions de réalisation pour Acide."
Just Philippot et son co-scénariste Yacine Badday se sont imprégnés de la covid, de la guerre en Ukraine ou du mouvement des Gilets jaunes. Les pluies acides leur permettaient de converger vers toutes ces crises sans les citer de façon explicite : "Nous ne voulions pas trouver une explication rationnelle au phénomène de pluies acides. Au contraire, il fallait être aussi « naturellement irrationnel » que les crises d’aujourd’hui. Il fallait qu’on sente qu’un nuage en Amérique du Sud pouvait rapidement devenir une catastrophe en Europe."
"Il fallait connecter l’état du monde à une nouvelle catastrophe qui n’est pas liée à une erreur dans l’Histoire, mais une somme de dérèglements. Notre époque nous a « malheureusement » nourrie. Elle nous a permis d’être le plus réaliste possible, tout en évitant de protéger le spectateur à l’aide d’un discours ou d’une explication rationnelle. Ce qui est effroyable aujourd’hui, c’est que nous sommes devenus des spectateurs impuissants devant les bouleversements naturels de notre monde", explique le metteur en scène.
Le film commence dans un climat social qui est déjà une catastrophe en soi, à savoir une société en déliquescence avec des personnages issus de cette colère. Pour écrire le rôle du père, Just Philippot est parti d’un homme "qui a pété les plombs, sûrement pour de bonnes raisons. Pour moi, cela représentait le meilleur moyen d’emmener le spectateur dans un endroit qu’il connaît."
"Mes personnages ne sont pas des héros... Non, ce sont des hommes et des femmes sans désir, des gens cassés. Le personnage joué par Guillaume est détruit au moment où commence le film, il devient dangereux pour sa fille parce qu’il n’est plus clairvoyant. Il est aveuglé par sa colère, sa frustration. Ce film est un miroir, pas une dystopie hollywoodienne", note le réalisateur.
Le film a été présenté en Séance de Minuit au Festival de Cannes 2023. A noter que La Nuée a fait partie de la Sélection Semaine de la Critique à Cannes 2020.
Le père et sa famille trouvent un refuge précaire dans une maison habitée par une femme et son fils. Just Philippot et son équipe ont conçu cette demeure comme un bateau échoué dont la cave a été pensée comme la cale où il est possible de se protéger. "Coupés du monde, mes personnages n’ont pas conscience que le bateau a dérivé. Ils seront bientôt complètement perdus en haute mer. Autour d’eux, il n’y aura plus d’issue", précise le metteur en scène.
Tel qu’il était décrit à l'origine, le film coûtait trop cher. Just Philippot a ainsi choisi, avec son chef décorateur Gwendal Bescond et son co-scénariste Yacine Badday, de réétudier la progression des effets des pluies acides pour éviter de tomber dans une échelle de destruction impossible à tenir : "Avec Pierre Dejon, nous avions de nombreuses références en commun, notamment le photographe Saul Leiter. Nous nous sommes inspirés de ses nombreuses photos de matière, des gouttes d’eau sur des vitres, ou de ses textures métalliques..."
"Et puis nous avons rapidement évoqué notre désir de noir et blanc, ou plus précisément le désir de fabriquer un film qui pourrait perdre ses couleurs... Tous les trucages visuels ont été réalisés en direct sur le plateau. Les effets de patine ont été réalisés par Gwendal et son équipe. Je souhaitais avec lui recréer une nouvelle nature : une nature créée par les pluies acides. Dans la maison où ils se réfugient, je voulais que les infiltrations d’eau acide ressemblent à des racines, à une végétation nouvelle", se souvient le metteur en scène.
Just Philippot a confié le rôle de l’amoureuse hospitalisée à Suliane Brahim, l’actrice principale de La Nuée. Il justifie ce choix : "C’était hyper important pour moi. C’est une des plus grandes actrices d’aujourd’hui. J’avais à coeur de retravailler avec une comédienne que j’adore et une personne que j’affectionne. Je savais qu’en très peu de temps, je pourrais obtenir d’elle les émotions qu’elle véhicule dans le film. Je ne voyais pas quelle actrice atteindrait ce niveau de façon aussi rapide, simple, altruiste, presque joviale. Elle a peu de scènes mais elle existe pleinement dans le film."
Si Just Philippot a très vite pensé à Laetitia Dosch pour jouer Elise, il ne savait pas qui solliciter pour le premier rôle masculin. C'est l'agent de la comédienne, Cécile Felsenberg, qui est également l’agent de Guillaume Canet, qui a soufflé au réalisateur le nom de l'acteur. "Je n’avais pas vu Guillaume depuis longtemps au cinéma mais en repensant, je n’avais aucun doute. Il avait toute la complexité pour retranscrire la violence du personnage. Il semblait ne pas avoir peur de la noirceur du récit", se rappelle Just Philippot, en poursuivant :
"Cela s’est confirmé dès la première rencontre et ça m’a plu. À partir de là, ça a été un régal. Guillaume ne laisse rien au hasard. Il se prépare énormément, travaille son rôle très en amont. Physiquement, il a pris du poids. Il a sculpté un corps très athlétique tout en restant extrêmement fragile. Il a cette capacité qu’ont peu d’acteurs à être très juste dès la première prise. Je suis très reconnaissant à son égard. Il n’a jamais douté de l’aventure que je lui proposais, il n’a jamais eu peur d’un film que je situais entre Alfonso Cuaron et David Dufresnes pour le dire vite."
Dans une interview accordée à Madame Figaro, Guillaume Canet a confié quant à sa préparation physique : "Pour être dans l'état d'épuisement physique et émotionnel de mon personnage, je me suis mis en condition : je dormais très peu, et je criais beaucoup pour avoir la voix cassée. Mes voisins de chambre à l'hôtel devaient me prendre pour un dingue ! De plus, au départ, ma fille devait avoir 8 ans. Elle a été remplacée par une ado de 14 ans. Or, je dois beaucoup la porter sur mes épaules dans la boue, à travers champs… C'était un peu plus sportif que prévu !"
La jeune Patience Munchenbach, vue dans la comédie Perdrix (2019), incarne Selma, la fille de Guillaume Canet et Laetitia Dosch : "Après quelques essais avec d’autres jeunes actrices, ma directrice de casting m’a conseillé de faire passer un essai à Patience, me disant qu’elle était au milieu de ce que je recherchais. Très vite, j’ai compris qu’elle avait quelque chose d’unique. Patience était à la fois très innocente et très avertie des questions environnementales et sociales de notre époque. Elle est très mûre, mais j’ai retrouvé avec elle le plaisir de l’enfant acteur qui a envie de jouer, de s’amuser."
"Son personnage était une enfant qu’il fallait protéger, elle amenait aussi un esprit hyper-réaliste car elle sombrait dans un cauchemar qu’elle avait vu venir. Patience a travaillé avec une répétitrice qui l’a protégée, poussée. J’ai vu Patience travailler comme une adulte et vu une adolescente grandir très vite. Elle a trouvé une place dans ce film, sans se perdre. Son personnage est souvent plus mature que ses parents. Il y a ce plan de la Pietà (Michel-Ange) inversée où elle tient son père dans ses bras. À la fin, elle est au chevet de son père, et malgré tout, elle ne lui en veut pas", confie Just Philippot.