C’est avec un budget colossal et des moyens pharamineux à disposition (notamment, pour la première fois, l’autorisation de tourner dans la Cité Interdite), que le cinéaste italien Bernardo Bertolucci réalise cette immense fresque sur la vie d’un personnage plutôt méconnu en Occident : le dernier empereur de Chine, Puyi. A travers son existence, le réalisateur nous plonge dans plusieurs périodes de l’histoire chinoise, de la naissance de la République jusqu’à la révolution culturelle, en passant par l’invasion de la Mandchourie par les Japonais dans les années 30…
Bernardo Bertolucci signe avec « Le dernier empereur » une œuvre remarquable en plusieurs points. Tout d’abord sur le plan esthétique, la photographie de Vittorio Storaro magnifie comme d’heureux souvenirs les années de jeunesse de Puyi, utilisant des couleurs chaudes et faisant apparaitre la lumière dans de nombreux plans, ce qui contraste avec les années d’emprisonnement de Puyi, où le film devient tout d’un coup très sombre, austère, symbolisant la déchéance de l’empereur. Sur le casting, là aussi la barre est haute. On retrouve dans le rôle de Puyi l’excellent et bien trop méconnu John Lone (Némésis de Mickey Rourke dans « l’Année du Dragon ») ainsi que la sublime Joan Chen dont les performances viennent sublimer le film. On soulignera aussi la qualité du traitement du personnage de Puyi, montrant bien l’ambiguïté du personnage, à la fois victime de la mutation de sa nation, dont les valeurs modernes ne cohabitent pas avec les idéaux archaïques dans lesquels il a baigné durant toute son enfance, ainsi que de l’oppression japonaise, mais aussi traître à son pays et à son peuple, qu’il abandonne par frustration et par amour du pouvoir. Au fond, le film retranscrit très bien ce qu’était Puyi : un homme des plus simples, bien loin de l’image quasiment divine qu’on lui a inculqué durant son enfance, une âme en perdition, qui toute sa vie cherchera un pouvoir dont il n’aura jamais que l’illusion (le parallèle entre la scène du départ de sa gouvernante et celui de sa femme montre bien l’impuissance tragique de Puyi, qui ne peut rien contre son destin) et qui finalement, terminera sa vie dans la simplicité la plus humble. Cependant, malgré ces nombreux points positifs, le film a tout de même certains défauts qu’il me semble important de souligner. Tout d’abord, on peut reprocher au film qu’il soit parfois assez confus et que les explications manquent quant au contexte historique. Pour ma part, étant fasciné par la naissance de la République chinoise et par l’avènement au pouvoir du Kuomintang de Sun Yat-Sen et de Tchang Kaï-chek, je n’ai pas eu de problèmes majeurs de compréhension de la trame narrative du film, mais je peux imaginer que pour de nombreuses personnes n’étant pas forcément familières avec ce segment de l’Histoire, cela peut être plus compliqué. C’est pourquoi je regrette que Bertolucci n’ait pas utilisé d’intertitres pour présenter brièvement le contexte historique, ou qu’il n'ait pas daigné tourner des scènes qui, pour ma part, auraient étés importantes pour une meilleure compréhension de l’histoire (Notamment concernant l’abdication de Puyi qui n’est pas montré dans le film, ainsi que l’invasion japonaise ou encore l’arrivée au pouvoir de Mao entre autres…).
En clair, malgré ses quelques défauts, « Le Dernier Empereur » n’en demeure pas moins un film remarquable et captivant qui décrit avec brio plusieurs périodes décisives dans l’Histoire de la Chine moderne, à travers le prisme d’un homme en décalage avec son époque, un pion, tourmenté par les évènements et manipulé tout d’abord par les sempiternelles institutions impériales, puis par les envahisseurs japonais et qui, au final, trouvera le calme et la sérénité au sein de la Cité Interdite, non pas en tant qu’empereur, mais en tant que visiteur…