Tragicomédie corrosive
Un monde ouvrier usé, sans héros ni méchants, loin de tout manichéisme. Une comédie mordante, gris foncé, presque noire… voilà comment on pourrait qualifier les deux heures somptueuses de méchanceté écrites et réalisées par l’espagnol Fernando León de Aranoa. Un ex-employé viré qui proteste bruyamment et campe devant l’usine… Un contremaître qui met en danger la production parce que sa femme le trompe… Une stagiaire irrésistible… A la veille de recevoir un prix censé honorer son entreprise, Juan Blanco, héritier de l’ancestrale fabrique familiale de balances, doit d’urgence sauver la boîte. Il s’y attèle, à sa manière, paternaliste et autoritaire : en bon patron ? Una joya de España… pardon, un bijou venu d’Espagne !
Fernando León de Aranoa est un cinéaste plus qu’inspiré que suis très attentivement avec ses trois derniers films, Amador, A perfect day un jour comme un autre et Escobar. Cet homme-là n’écrit pas et ne filme pas pour rien. Et une fois de plus, il trace le portrait sans concession d’un patron modèle… enfin, qui se voudrait modèle mais dont les certitudes vont toutes chanceler puis être mises à mal les unes après les autres. Une entreprise de démolition savamment dosée et orchestrée. Aranoa concède volontiers : J'ai tendance à croire que presque tous les films sont politiques. En tout cas les siens, à coup sûr. Mais il évite pour autant d’être à la fois béatement militant et manichéen. Ironie mordante, dialogues ciselés, scénario dévastateur, tout est réuni pour parvenir à nous rendre sympathique ce patron pervers au sourire de façade. On pense volontiers à la férocité des comédies italiennes de l'âge d'or servies par Tognazzi, Sordi ou Gasman. Du grand art !
Le film doit évidemment beaucoup à l’extraordinaire Javier Bardem au sommet de son art. Face à lui, Manolo Solo, Almudena Amor, Oscar de la Fuente, se sont tous mis au diapason du maestro Bardem. Meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur acteur, meilleur scénario, meilleur montage et meilleure musique… aux Goya 2021… un triomphe bien mérité pour cette pépite jubilatoire qui sait distraire – ô combien – en dénonçant la violence du monde du travail. Courez-y s’il en est encore temps !