Troublant
J’avoue ne jamais avoir vu de films signés par Vadim Perelman. Ces 127 minutes haletantes qui nous racontent l’histoire d’un mensonge sont basées sur une nouvelle intitulée Invention d’une langue. 1942, dans la France occupée, Gilles est arrêté pour être déporté dans un camp en Allemagne. Juste avant de se faire fusiller, il échappe à la mort en jurant aux soldats qu'il n’est pas juif mais persan. Ce mensonge le sauve momentanément puisque l’un des chefs du camp souhaite apprendre le farsi pour ses projets d’après-guerre. Au risque de se faire prendre, Gilles invente une langue chaque nuit, pour l'enseigner au capitaine SS le lendemain. La relation particulière qui se crée entre les deux hommes ne tarde pas à éveiller la jalousie et les soupçons des autres... Convaincant, bouleversant, on sort de là, chaviré d’émotion… et de bonheur d’avoir vu un bon film au sujet original et sacrément bien interprété.
Pour ce film très réaliste, le réalisateur et les scénaristes ont effectué des recherches approfondies pour savoir à quoi ressemblaient les camps de transit - combien de temps les personnes y restaient, etc.- Ils se sont également inspiré d’un camp appelé Natzweiler Struthof, situé entre la France et l’Allemagne, dans le nord-est de l'Hexagone. – A cet effet, on aurait pu éviter de filmer les portes d’entrée du tristement célèbre camp de Buchenwald -. Certains seront sans doute gênés par le fait que le film fait ressentir de l’empathie pour l'officier qui tente d’apprendre le farsi. Mais, on peut saluer la volonté de ne pas systématiquement montrer les Nazis comme des robots, des automates hurlants, pressés, horribles et diabolisés, mais comme des personnages plus complexes, avec leurs amours, leur jalousie, leurs trahisons, leurs faiblesses, ce qui, d’une certaine manière, rend leurs actes encore plus terrifiants. Ce drame oscille en permanence entre une réalité froide, terrifiante et la fiction, sans qu’on ne sache jamais la part de l’une et de l’autre. Peut-être inconfortable mais parfaitement assumé et réussi. « Improbable » diront les uns, « passionnant » diront les autres dont je suis.
L’immense talent de Nahuel Perez Biscayart découvert dans 120 battements par minute et Au revoir là-haut est ici plus que confirmé. En plus de cette présence tout en subtilité et fragilité s’imposait du fait qu’il couramment parle allemand, italien, espagnol et français. Mais, pour moi, la grande découverte reste l’acteur allemand Lars Eidinger, dans une partition trouble et complexe. D’ailleurs toute la distribution est à féliciter sans oublier l’apport indéniable de la musique des frères Galpérine. Bref, l’histoire tient grâce au duel que se livrent deux comédiens exceptionnels qui nous tiennent en haleine jusqu’au générique de fin d’un film qui regarde cette période terrifiante par un bout de la lorgnette rarement utilisé. A voir absolument.