Ne soyons pas timide: c’est un des meilleurs films de tous les temps. Un de ces énormes monstres sacrés hollywoodiens, à l’instar de 2001 l’Odyssée de L’espace, que je découvre sur le tard. Il ressort en salle à la faveur d’un nouveau montage, la version “Final Cut”. Je trouve touchant que quarante ans après sa sortie en salle Coppola soit encore obsédé par son film et trouve nécessaire de continuer à travailler dessus. Il y a d’ailleurs un petit court métrage documentaire projeté avant le film dans lequel le réalisateur explique pourquoi il a repris le montage de son film.
Je pense qu’on a tous quelques images en tête d’Apocalypse Now. C’est surtout la première partie, celle sur la guerre du Vietnam, qui est connue. Pour cette raison, je pensais que c’était un film de guerre. Or il s’agit d’un scénario beaucoup plus complexe, qui traite de la guerre, de ceux qui la font, mais les personnages quittent le champ de la guerre assez rapidement pour une quête fantastique dans la jungle.
En pleine guerre du Vietnam, le capitaine Benjamin Willard (interprété par Martin Sheen) est chargé par l’état major de l’armée américaine d’aller assassiner le colonel Walter E. Kurtz. Cette ancienne gloire de l’armée a déserté et, devenu incontrôlable, s’est établi au coeur de la jungle cambodgienne. Le film raconte le périple fluvial du capitaine et des soldats qui l’entourent, des côtes du Vietnam à l’intérieur des terres et jusqu’au Cambodge.
C’est le type de film dont on se dit à chaque scène: c’est la meilleure scène de l’histoire du cinéma. Une des premières est celle de l’attaque des hélicoptères sur fond chevauchée des Walkyries. On identifie tous Apocalypse Now plus ou moins avec cette scène. Je crois que c’était une des raisons pour lesquelles je n’avais pas spécialement envie de voir ce film. J’imaginais une scène de film de guerre très américaine avec orchestre symphonique en surimpression, et je ne comprenais pas vraiment qu’on puisse dénoncer la guerre en l’illustrant de cette manière. Or, surprise, j’ai découvert que la musique est intérieure à l’histoire, c’est-à-dire diffusée par l’hélicoptère du lieutenant en guise de mise en scène macabre de leur attaque, pour motiver ses hommes. Le film de Coppola a résonné avec beaucoup de textes et de films, antérieurs ou postérieurs à lui. Il me semble que c’est dans Farenheit 9:11 qu’un soldat raconte face caméra comment il écoute du métal pendant qu’il tire depuis son tank et s’imagine ainsi dans un jeu vidéo. J’ai aussi pensé à Candide, dans cette même scène de massacre où se dégage une “harmonie telle qu’il n’y en eut jamais en enfer” (Voltaire, Candide, chapitre 3). Le personnage du lieutenant surfeur, avec son stetson, qui orchestre une séance de surf sur la plage la plus exposée aux tirs de tout le Vietnam (auteur du fameux: “J’aime l’odeur du Napalm au petit matin”) est savoureux de dinguerie.
Pour Coppola, la guerre est un spectacle, et cela n’a sans doute jamais été mieux illustré. Tous ces hommes utilisent une débauche d’effets de mise en scène. Les fumigènes sont omniprésents, la musique, les effets pyrotechniques au coeur de la nuit (l’arrivée sur le pont en train d’être détruit est magnifique), le maquillage, les costumes… Chaque plan est à la fois féérique, ironique, grinçant. Très virtuose aussi. Dans beaucoup de séquences, les héros arrivent dans une nature parfaite ou un ensemble parfait, voient la violence naître, se développer, et l’ensemble parfait finir détruit dans la sauvagerie… puis ils reprennent leur voyage, emportant une partie de la destruction en eux. Une des scènes exemplaires à ce titre est le show de playmates, surgit de nulle part, dans la nuit, devant une assemblée d’hommes menaçants, sous des lumières artificielles rappelant les stades de baseball… un habillage de civilisation américaine tellement incongru au coeur de la jungle vietnamienne.
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