Plongée dans la France d’en bas : vieilles bagnoles déglinguées, terrain de camping une étoile au milieu des pins, guinguette au bord de l’eau, pizzeria ambulante sur la place du village, hommes mal coiffés, pas rasés, jeune fille décolorée, vêtements en vrai skaï, gamin désœuvré qui s’amuse à casser des bouteilles dans une décharge quand il ne jette pas des pierres sur l’autoroute… C’est cette France d’en bas qui sert de cadre à « Mischka », cette histoire de famille recomposée sur laquelle Jean-François Stévenin s’appuie pour nous démontrer que les liens du sang ne sont pas forcément les plus forts et qu’une famille de substitution peut être un palliatif affectif à la famille biologique. Il y a Gégène et son éternel plâtre au bras, employé dans un hospice à Auxerre, qui cherche à se réinventer une famille (voire à en inventer une) où il aurait toute sa place entre un père attentionné et une fille admirative. Il y a Jane, adolescente devenue soudainement adulte, qui a décidé d’embarquer son petit frère dans sa fugue d’une mère impossible et la recherche de son père. Il y a Joli Cœur qui cherche à échapper à son compagnon qu’elle soupçonne de trop grande complaisance envers la gendarmerie locale. Et puis il y a l’incontournable Mischka, sexagénaire que son fils se force à emmener en vacances avec femme et enfants à condition de le faire voyager en robe de chambre dans le coffre de sa voiture avant de l’oublier sur une aire d’autoroute… Tous ces personnages en manque d’affection convergent pour former une famille constituée de toutes pièces qui va traverser la France de l’Yonne à la Gironde.
Le parallèle avec la Palme d’Or 2018, « Manbiki Kazoku » de Hirokazu Kore-Eda vient rapidement à l’esprit : mêmes interrogations sur la réelle signification à donner au mot « famille », même époque, même cadre social. Là ou Kore-Eda-San plantait sa caméra dans un quartier populaire du Nord de Tokyo parmi une famille de déclassés de la société japonaise, Jean-François Stévenin a choisi l’Yonne, cette terre qui a longtemps servi de refuge aux personnes indésirables en Ile de France, pour cadre de son film.
En revanche, si Kore-Eda San ne quittait pas son quartier de Tokyo, Jean-Francois Stévenin balade perpétuellement ses personnages que ce soit en bus, en camion, en voiture, en bac… Il fait ainsi de « Mischka » un véritable road movie, impression qu’il renforce à travers d’inlassables plans retranscrivant parfaitement l’Yonne (un des plus vastes départements de France) dans toute son immensité entre ses champs de blé, ses vignes et ses villages perdus. Les points d’étapes ne manquent pas tout au long de ce voyage : aire d’autoroute, hospice, station-service, camping, hôtel…
Ces personnages hauts en couleur, leur insouciance et leur rapport dépassionné à l’argent (tout le contraire de ceux de Kore-Eda-San) nous apportent une vraie bouffée de bonheur qu’agrémentent l’ambiance festive de ce mois de juillet, ces vacanciers croisés au hasard des départementales et la présence de notre Johnny national que l’on retrouve lors d’une courte scène en pleine « escale technique » admirant l’immensité de l’Yonne écrasée sous le soleil de l’été depuis un champ de blé où il a fait poser dans son hélicoptère. On s’amuse aussi des quelques considérations politiques amenées par Jean-François Stévenin notamment dans le rapport à l’Europe et aux Allemands en particulier, qu’il prête à ses personnages entre les plus vieux qui ne pardonnent pas à ces derniers leurs exactions des années sombres au contraire des plus jeunes qui les abordent avec bienveillance.
« Mischka » a toutefois le défaut de trainer en longueur et ne pas cesser de finir. Lors de la deuxième partie tournée sur les bords de l’estuaire de la Gironde, Jean-François Stévenin semble vouloir faire rentrer son film dans le moule d’une intrigue particulière comme si chacun de ses personnages était censé retourner à la case départ. Cette deuxième partie nous vaut malgré tout la réplique la plus mémorable du film, celle de Mischka répondant à Gégène venu lui dire au revoir : « Mon adresse ? Au ciel ! ». Une réplique qui, placée en fin de film, sonne comme un constat d’échec de la famille recomposée et comme la prééminence des liens du sang.