Zombi Child est présenté dans le cadre de la Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes 2019. Il s'agit de la 2ème sélection de Bertrand Bonello à la Quinzaine, 11 ans après De la guerre (2008).
Dans un carnet de notes, Bertrand Bonello avait inscrit il y a un certain nombre d’années déjà ces deux mots : "Zombi, Haïti". L'idée de départ vient de là.
Bertrand Bonello s'est intéressé à Haïti au début des années 2000, au moment où un ami proche, Charles Najman, réalisait Royal Bonbon, dont Josée Deshaies était la chef opératrice. "Charles adorait Haïti, il y passait trois mois par an et il m’avait communiqué son enthousiasme, en évoquant une vie intellectuelle très riche, beaucoup plus qu’en France, en me racontant milles histoires… J’ai commencé à lire des choses, avec passion. Mais ce n’est qu’au début de 2018 que j’y suis revenu. Je venais de passer de longs mois sur un projet assez lourd qui est pour l’instant en suspens, et j’avais envie de réaliser un film vite et avec peu de moyens, mais avec quand même une idée forte", confie le cinéaste.
En 2016, Bertrand Bonello sortait de deux films lourds, Saint-Laurent et Nocturama. Il avait envie de revenir à quelque chose de plus léger. "Peu après Nocturama, j’ai réalisé, sur une commande la 3ème Scène de l’Opéra de Paris, un film d’une vingtaine de minutes tourné en deux jours et demi, Sarah Winchester, Opéra Fantôme, qui raconte une histoire assez longue en un temps bref et avec assez peu d’argent. J’ai eu envie de répéter l’expérience sur un long métrage. J'ai aussi eu la chance de travailler avec une jeune productrice, Judith Lou Lévy, pour Les Films du Bal, ainsi qu’avec son associée, Ève Robin, me permettant de penser les choses de manière un peu différente. Le fait, également, que je sois producteur délégué, c’est-àdire garant du film, ce qui, quand on tourne en Haïti, n’est pas un mince risque. Puis enfin, la cohérence économique du projet", explique le metteur en scène.
Bertrand Bonello a décidé de nommer son film Zombi Child en laissant tomber le "e" final du mot : "Zombie est l’orthographe américaine. Zombi, c’est le zombi originel, qui est une figure profondément inscrite dans l’histoire et la culture d’Haïti. Il résulte d’un usage mauvais du vaudou, quelque chose dont on ne parle pas, dont certains nient souvent l’existence. Pourtant, tout le monde là-bas sait comment se déplace et comment parle un zombi. Pendant le casting, les hommes le mimaient tous de la même façon", déclare le réalisateur.
Le film est documenté avec précision : la poudre qui transforme un homme en zombi, la situation d’esclavage où il est maintenu dans les plantations ; le sel, la viande ou les cacahouètes qui, s’il en mange, le font sortir de son état de zombi et retourner chez lui, ou dans sa tombe. Un livre important, L’Île magique : Les Mystères du Vaudou, de William Seabrook, paraît en France en 1928. Cinq ans après sort Les Morts-vivants / White Zombie, avec Bela Lugosi. L’orthographe change, ainsi que la signification politique du zombi, dont son rapport à l’esclavage. "Elle disparait, même si on la retrouve transformée chez un cinéaste comme Romero. Le zombie américain garde de l’haïtien sa démarche, sa lenteur, mais pas sa fonction. Il est un vrai mort, ce qui n’est pas le cas de l’haïtien : lui est suspendu quelque part entre la vie et la mort. Et c’est un aspect qui m’a fasciné, ce lien entre la vie et la mort qui continue à se faire là-bas, alors que nous l’avons rompu depuis les grecs. Dans le vaudou il n’y a pas de coupure entre la vie et la mort. Ce n’est pas seulement une croyance mais une vérité", analyse Bertrand Bonello.
Les films de George A. Romero ont beaucoup accompagné Bertrand Bonello. Néanmoins, le cinéaste a revu le sublime Vaudou (1943) de Jacques Tourneur, dont la première phrase correspond au titre original : « I once walked with a zombie… ». "Je me suis inspiré de livres de photographies, de romans, d’ouvrages d’anthropologie, à commencer par celui d’un Suisse, Alfred Métraux, Le Vaudou haïtien, écrit dans les années 1950, qui décrit dans le détail la démarche, la voix nazillarde, la poudre qui dépigmente la peau autour des yeux… Et puis, en cherchant pour l’intronisation de Melissa au sein de la sororité littéraire un récit qui parle du zombi de façon particulière, j’ai découvert un poème de René Depestre, Cap’tain Zombi. C’est ce poème qui est cité en exergue. Depestre est également l’auteur d’un livre magnifique, Hadriana dans tous mes rêves, l’histoire d’une femme zombi blanche, que m’a fait découvrir Guetty Félin, notre productrice haïtienne."
Bertrand Bonello a choisi de tourner une partie du film en Haïti, pays réputé impossible. Le metteur en scène y tenait pour des raisons éthiques. "Ce que nous avions à faire était assez simple, puisque c’est surtout montrer un homme qui marche. En tournant ces scènes dans un autre pays, elles auraient perdu beaucoup de sens pour moi. Et puis, je ne voulais pas recréer une cérémonie vaudou ailleurs. Mais j’y tenais aussi pour des raisons esthétiques : filmer ces montagnes, filmer le Palais du Sans-souci, le Palais du Roi Christophe. Tout le monde m’avait dit qu’il n’y a pas de pays plus compliqué qu’Haïti pour tourner. La pauvreté, l’agitation politique, les tremblements de terre et leurs suites font que rien n’est simple. Peu de cinéastes s’y sont risqués : Charles Najman, Raoul Peck, Wes Craven, Jonathan Demme, et c’est à peu près tout", explique le réalisateur.
L'équipe du film a effectué trois voyages en Haïti. Principalement au Cap, plutôt qu’à Port-au-Prince, sur les conseils de la productrice Guetty Félin. Un premier voyage en septembre pour faire connaissance avec le pays, commencer le casting et éprouver la réception du projet par les haïtiens. "Il n’était pas évident de se faire accepter. Les haïtiens tirent légitimement une immense fierté de ce que leur pays a été la première République noire indépendante, en 1804. La méfiance envers l’image du pays véhiculée par les blancs est grande, justement autour des zombis, du vaudou… J’ai entendu : Quand vous arrivez avec une caméra, c’est comme si vous arriviez avec un fusil. Le deuxième voyage, avec le chef opérateur, pour faire des essais image, s’est fait en novembre, et le troisième, en janvier, pour tourner. Ces trois séjours ont été aussi passionnants que compliqués. Je n’oublierai jamais le premier. J’ai ressenti un choc comme j’en ai connu peu dans ma vie. Il y a là-bas une vie, une richesse culturelle et intellectuelle, une puissance de pensée extraordinaires", s'enthousiasme Bonello.
Le pensionnat de la banlieue parisienne où étudient Fanny et ses amies existe vraiment. Il s’appelle la maison d’éducation de la Légion d’honneur et se situe à Saint-Denis. "Quelque part, la réalité a dépassé mes attentes fictionnelles. Tout ce que je montre est exact : les salles, les uniformes, l’excellence, le mélange d’architecture moderne et ancienne, la révérence, le parc. Quand j’ai appris que ce lycée public avait été fondé par Napoléon en même temps, ou presque, qu’a eu lieu l’indépendance d’Haïti, je n’ai pu être que frappé par l’écho avec mon projet. C’est un décor auquel le cinéma fait souvent appel. Il est plus rare, en revanche, qu’il soit montré pour luimême. Je crois que la direction n’y a pas été insensible", déclare Bertrand Bonello.
Le processus de casting n’est pas si différent de celui que Bonello a connu pour L’Apollonide et pour Nocturama. Il fallait que le cinéaste trouve Fanny, le personnage principal, et des jeunes filles susceptibles de former un groupe autour d’elle. Aux possibles Fanny, il demandait de lire des lettres adressées à son amoureux, Pablo. "Je les faisais danser, je préparais la scène de la transe. Louise Labèque m’a beaucoup impressionné, par sa précision et son instinct, sa concentration, sa capacité à jouer des choses très différentes : il est rare que nous ayons dû faire plus de deux prises. Pour Melissa, la jeune élève haïtienne, je demandais aux candidates de raconter l’histoire de Clairvius. C’était important que l’actrice puisse captiver le spectateur. Il n’est pas facile d’introduire un récit oral en fin de film. Wislanda Louimat est parfaite. Comme son personnage, elle a la double culture, haïtienne et française. Comme Mélissa, elle est arrivée en France à l’âge de 7 ans. J’aimerais qu’elle nous accompagne lorsque nous irons montrer le film en Haïti."
Pour le langage propre aux adolescents, Bertrand Bonello a été aidé par sa fille, Anna, qui a l’âge des personnages, et qu’on aperçoit brièvement lors d’une scène au pensionnat. "Anna a corrigé certains dialogues qu’elle trouvait ringards, elle a donné son avis sur les choix de casting. C’est grâce à elle – en regardant dans son fil Deezer – que j’ai pu découvrir le rappeur Damso, dont la musique joue un rôle très important", affirme le cinéaste.
Il y a tout de même une célébrité dans Zombi Child : c’est l’historien Patrick Boucheron, professeur au Collège de France, auteur de plusieurs livres, dont L’Histoire mondiale de la France. On le voit au début donner un cours. "J’avais envie qu’il y ait des cours. Il me semblait que, dans la logique du film, je pouvais m’autoriser des choses un peu étonnantes. Je tenais à lancer le film sur une prise de parole forte en Histoire. Or qui, aujourd’hui, est capable d’une telle chose ? Patrick Boucheron m’a paru une évidence. Il a répondu très vite à ma sollicitation. J’avais choisi les thèmes, les deux courants du libéralisme au XIXème siècle… Je les lui ai communiqués. Il a préparé son cours. Nous avons fait trois prises de dix minutes, un axe de caméra à chaque fois", explique Bonello.