Alors le voilà enfin, le grand favori des Oscars ! Le dernier film de Sam Mendes fait beaucoup parler, et notamment à cause de sa forme, alors commençons par là. Le film fait pile 2 heures et c’est un immense plan séquence. En terme simple, ça veut dire qu’il n’y aucune coupe visible à l’écran, on dirait que c’est tourné en une seule prise. Ce n’est évidemment pas le cas, c’est plus probablement l’assemblage hyper soigné de plusieurs très longs plans séquences. Mais peu importe car le rendu est impressionnant, et à une exception près
(un blackout)
, je défie n’importe qui de dénicher les coupes ! J’avais déjà été bluffé par la même technique dans « Birdman » et aussi par les très long et inoubliable plan séquence de « Dans ses yeux ».Grace à ce parti pris très audacieux et sans doute très complexe à mettre en œuvre, le spectateur est en apnée pendant 2 heures, la tension ne faiblit jamais et il faut même parfois quitter l’écran des yeux quelques secondes pour tenir le coup. Sam Mendes montre avec « 1917 » une virtuosité dans ses mouvements de caméra que bien peu pourrons lui contester. SI on ajoute à cette performance celle des décorateurs et du directeur de la photographie, on flirte clairement avec une certaine idée de la perfection. La reconstitution des tranchées, celle des villages détruits, des bunkers abandonnés, et surtout du no man’s land sont tellement réussies qu’on en reste presque bouche bée sur notre siège de cinéma. La Grande Guerre n’a pas souvent fait l’objet de film montrant sur toute sa durée la réalité du front, cette réalité qui pue la mort, la vermine, le désespoir. De la même façon, la photographie est clairement aux mains d’experts, avec une scène d’incendie (abominablement) magnifique. La seule chose qui détonne un peu, au cœur de ce concert de louanges techniques, c’est la musique. Elle est très intéressante, la musique de Thomas Newman, qui n’est pas le premier venu, je ne serais même pas contre écouter la BO à tête reposée. Mais dans « 1917 », elle est presque dérangeante tant elle appuie les effets et tant elle est forte et omniprésente. A mois d’en faire presque un personnage du film comme l’avait fait Christopher Nolan avec « Dunkerque », la musique parasite trop souvent les images. C’est le seul et inique bémol que j’adresse à «1917 » sur sa forme car pour le reste, quelle force, quelle virtuosité, quelle audace ! Encore une bonne idée de plus : le casting. Sam Mendes a offert les deux premiers rôles à deux très jeunes acteurs quasi inconnus : Dean-Charles Chapman et George McKay, et il « relègue » les grandes stars comme Colin Firth, Richard Madden, Mark Strong ou Benedict Cumberbatch au rang de seconds rôles, parfois à la limite de la figuration ! C’est là encore très audacieux dans l’industrie du cinéma d’aujourd’hui, mais cela à deux grands mérites. D’abord, cela met la Grande Guerre « à hauteur d’homme » et apporte beaucoup à la crédibilité de l’intrigue. Et puis, cela donne à Dean-Charles Chapman mais surtout à George MckKay l’occasion d’une performance comme ils n’en connaitront pas beaucoup dans leur carrière. Ce dernier notamment aura eu un rôle terriblement physique, éprouvant dans tous les sens du terme et sa performance est impressionnante. L’intrigue de « 1917 », au final, est assez simple, pour ne pas dire simpliste : une mission suicide qui pourrait sauver des centaines de vies, deux jeunes héros qui trouvent en eux des montagnes de courage et d’héroïsme pour l’accomplir, et même (même si ce n’est jamais formulé comme tel), changer le cours de la guerre. C’est sans doute là que réside la petite faiblesse de « 1917 », avoir privilégié la forme au dépend du fond, être resté dans le chemin bien balisé de l’intrigue binaire du « héros seul contre tous ». Du côté de la crédibilité, tant militaire qu’historique, je ne sais trop quoi penser. Je me doute que la Guerre fait ressortir à la fois le pire comme le meilleur des hommes, mais dois-je croire à cette mission terrible ? Historiquement, je ne suis pas assez pointue pour porter un jugement péremptoire sur le film, même si certains détails m’ont fait tiquer, certaines situations m’ont parues énormes, même presque improbables mais pudiquement, je vais passez l’éponge sur cet aspect, faute de certitudes. Reste au final un film indéniablement impressionnant, une plongée aussi rare que terrifiante dans l’enfer de la Grande Guerre, mais aussi presque une « expérience de cinéma » en tant que spectateur. En tous cas, fan de film de guerre ou pas, intéressé par l’Histoire ou non, « 1917 » mérite carrément le déplacement. Mais préparez-vous, n’allez pas le voir la fleur au fusil (sans mauvais jeu de mot), c’est une séance aussi impressionnante quelle est éprouvante !