She Said : les secrets du tournage

She Said est adapté du livre-enquête du même nom coécrit par les journalistes du New York Times Jodi Kantor et Megan Twohey (jouées par Carey Mulligan et Zoe Kazan). En octobre 2017, elles ont publié un rapport sur les agissements de Harvey Weinstein, dans lequel plus de 80 femmes accusent le producteur d'abus ou d'agressions sexuelles (cette enquête est à l'origine du mouvement #MeToo).

En 2018, leur travail est récompensé par le prix Pulitzer du service public. L'année suivante, Twohey et Kantor publient l'ouvrage She said : les dessous de l'enquête qui a révélé l'affaire Weinstein et fait exploser le mouvement Me Too. Le long métrage se concentre sur le travail des journalistes pour révéler les nombreuses allégations de harcèlement et d'agressions sexuelles de Weinstein.

She Said est réalisé par Maria Schrader, dont le dernier long métrage, la comédie romantique de SF I'm Your Man, est aussi sorti en 2022. On lui doit aussi la mise en scène des quatre épisodes de la minie-sérié Unorthodox, adaptée de l'autobiographie Unorthodox : Comment j'ai fait scandale en rejetant mes origines hassidiques de Deborah Feldman. La cinéaste confie :

"Les conséquences de cet article et le mouvement qu’il a initié ont été énormes. Bien sûr, il y a les changements évidents : la façon dont les studios, les festivals de films ont fait des efforts, notamment au niveau de la diversité et de l’inclusivité, ce qui est très encourageant et provoque des opportunités. Mais ces changements dépassent de loin le cadre d’Hollywood."

"Le changement le plus significatif est peut-être la manière dont les hommes, autant que les femmes, commencent à porter un regard différent sur leur rapport personnel au harcèlement ou aux abus sexuels. C’est à ce niveau bien plus intime que le changement a vraiment été conséquent, je pense. Nous sommes plus libres aujourd’hui de partager nos expériences."

Un documentaire, revenant sur l'ascension et la chute d'Harvey Weinstein, est sorti en 2019 sous le titre L'Intouchable Harvey Weinstein. Des films de fiction, plus ou moins inspirés de l'affaire, ont vu le jour (comme Nina Wu ou The Assistant), mais She Said est le premier long métrage à revenir pleinement sur l'enquête et à citer ouvertement le nom du producteur.

Ashley Judd, ayant par le passé refusé les avances sexuelles de Harvey Weinstein (et en a payé le prix...), est la célébrité la plus connue qui ait accepté de contribuer à l’enquête de Megan Twohey et Jodi Kantor en 2017. La décision de l'actrice de parler publiquement a contribué à persuader bien d’autres femmes de l’imiter en apportant leur témoignage. Une fois le scénario de She Said bouclé et la production du film lancée, Ashley Judd a été contactée pour jouer son propre rôle, ce qu’elle a accepté

La chef décoratrice Meredith Lippincott a rencontré Megan Twohey et Jodi Kantor pour se faire une idée des environnements qu’elle allait pouvoir attribuer à Carey Mulligan et Zoe Kazan. Elle tenait à différencier ces univers à l’écran pour souligner les différences et les similitudes entre les deux femmes et mieux comprendre ce qui les motivait dans leur métier :

"Le film est centré autour de ce que cela représente d’être une femme dans un environnement de travail dominé par les hommes, mais il souligne également la pluralité de la vie personnelle des femmes. Jodi et Megan, au début du film, sont à des stades différents de leurs vies privées et nous tenions à ce que ce soit très clair pour le spectateur."

"Jodi a déjà deux enfants et habite un appartement dont elle est propriétaire avec son mari Ron Lieber. Megan est sur le point de s’installer avec son compagnon qu’elle finira par épouser. Au fur et à mesure du film on voit Megan devenir mère de famille et que cela change son environnement physique autant que psychologique", explique Meredith Lippincott.

Pour retranscrire le plus fidèlement possible l’ambiance des locaux du New York Times, la production a tourné sur place en plein Manhattan, pendant deux semaines. Maria Schrader précise : "Le New York Times nous a beaucoup aidé et a participé avec enthousiasme au film en nous donnant l’opportunité de tourner au sein de leur magnifique bâtiment à Times Square. C’était la première fois qu’ils accueillaient un film de cette envergure dans leurs locaux."

Au moment du tournage, beaucoup des employés étaient en télétravail en raison de la pandémie de Covid, ce qui a permis à l’équipe de travailler principalement dans des espaces vides. La réalisatrice se remémore : "C’était une atmosphère très étrange, comme figée dans le temps, au printemps 2020. Il y avait des centaines de bureau vides, intacts avec des copies datées de Mars 2020, toujours posées là, en train de jaunir. On se serait cru à Pompeï."

She Said a nécessité 100 décors différents s’étalant sur 20 ans et 3 continents, dont la plupart ont été recréés dans les environs de New York. Une seconde équipe très restreinte a tourné à Los Angeles, Venise, en Italie, à Londres, et en Angleterre afin de recréer les décors bien spécifiques référencés dans le film, qu’ils soient intérieurs ou extérieurs.

Megan Twohey et Jodi Kantor ont donné à la créatrice des costumes Brittany Loar des photos prises au bureau, aux différentes cérémonies auxquelles elles ont participé et certaines plus personnelles de leur vie quotidienne. Avec Maria Schrader, elles se sont mises d’accord pour que les tenues n’aient pas l’air apprêtées, comme souvent au cinéma.

Les femmes qui sont mises en scène dans le film ont pris des risques énormes et on les voit souvent vulnérables et stressées. Leurs costumes devaient donc être froissés, et laisser entrevoir des traces de sueur, le mieux l’embarras pour certaines, le traumatisme pour d’autres et les longues journées de travail des journalistes étaient représentées.

Côté références visuelles, la directrice de la photographie Natasha Braier cite le travail de Gordon Willis sur Les Hommes du président qui a été son inspiration principale concernant son traitement de l’image sur She Said. Elle s’est également inspirée du documentaire Mission Vérité : Donald Trump et le New York Times pour mieux saisir la façon dont fonctionnait la salle de rédaction et comment les employés occupaient cet espace.

Harvey Weinstein apparaît de dos uniquement (joué par un certain Mike Houston, vu dans la série culte Orange Is the New Black, où il incarne un surveillant de prison), et via une archive sonore que l'on entend en longueur avec sa vraie voix (il s'agit d'un enregistrement fait à son insu quand il a agressé une femme dans sa chambre d'hôtel).