Alors oui – c’est vrai – parfois je râle peut-être un peu trop. Et parmi ces cibles qui ces derniers temps ont pu recevoir les saintes foudres de mon légitime courroux se trouvent tous ces films qui – derrière un prétexte de biopic – se réduisent souvent qu’à de vastes clips promotionnels pour la ressortie d’un album collector. Alors oui, je râle parce que je trouve ça facile. Je râle parce que la plupart du temps je trouve qu’on oublie de faire un film et on se contente juste de passer un album best-of en boucle. Et enfin oui, je râle parce qu’à chaque fois j’ai eu l’impression qu’il y avait mieux à faire, ne serait-ce que pour rendre hommages aux stars qu’on cherchait à mettre en avant… Alors après, c’est vrai que je peux encore bien entendre que des « Bohemian Rhapsody » ou autres « Rocketman » ne sont pas si désagréables que ça à regarder, mais franchement, maintenant qu’on a ce « Yesterday » sous la main, prenons la peine de comparer un peu les démarches et observons ce qu’on est capable de faire quand deux gars prennent VRAIMENT la peine de rendre hommage aux œuvres musicales qu’ils entendent mettre sur un piédestal. Parce qu’oui, « Yesterday » ce n’est pas seulement ce pitch assez marrant que la bande-annonce a su fort bien mettre en avant. « Yesterday » c’est aussi une autre façon de découvrir les Beatles et surtout c’est aussi une autre façon d’aborder la question de la création artistique. « Yesterday » c’est déjà ce film qui arrive à te rappeler la force primaire d’une chanson, avec notamment cette scène superbe – au début du film – où Jack chante presque au débotté ce titre éponyme.
Lui le fait comme celui qui (comme nous) a toujours connu cette chanson. Il lui reconnait sa beauté certes, mais il la fredonne comme une habitude, avec justesse mais sans passion car tout le monde connait « Yesterday ». Mais voilà soudainement que dans cette scène, on se retrouve dans la position de celui ou de celle qui la découvre pour la première fois. Et là, soudain, parce que le film nous invite à nous projeter dans la peau du primo-écoutant, toute la singularité de la chanson ressort. La pureté de la mélodie. La justesse des paroles. D’un seul coup on saisit toute la portée du génie de ces quatre garçons dans le vent que furent les Beatles. Car au fond, comme Jack, ils n’ont qu’une guitare et une voix. Mais avec eux, soudain, les choses deviennent limpides, évidentes, touchantes. Et moi c’est justement ça que j’attends d’un film. J’attends qu’il m’offre autre chose que ce que le seul plaisir que la chanson originale apporte. J’attends qu’il m’offre une approche nouvelle, ce que cette scène fait simplement mais avec brio.
Et pour le coup, cette scène n’est pour moi qu’un exemple parmi tant d’autres. Car l’air de rien, le simple fait de faire se percuter l’un des répertoires musicaux les plus dingues jamais créés d’un côté et de l’autre un simple quidam qui n’a pas forcément grand-chose à faire valoir, cela permet d’arpenter le rapport d’un auteur à son œuvre totalement autrement. Car en procédant ainsi, toute la lecture prophétique disparaît. On ne regarde plus une destinée s’accomplir, réinterprétant le début au regard de cette fin qu’on connait déjà tous. Non : on voit juste un gars normal – ce que tout auteur est – se demander que faire avec cette œuvre qu’il a en lui. Et l’air de rien ce simple postulat permet d’aborder un paquet d’angles intéressants. La frustration de l’auteur convaincu de la qualité de son œuvre mais qui ne parvient pas à convaincre les autres. La frustration aussi de ne plus savoir trouver les justes paroles afin que l’œuvre soit parfaite. L’idée que de nombreux chefs d’œuvre ont peut-être échappés à l’humanité faute de relais pour les faire connaître. Le sentiment de dépossession de ses œuvres, qu’on accepte de voir lacérées par des producteurs qu’on ne veut pas vexer, de peur de louper la seule possibilité qu’on a de tout livrer au monde entier. Le sentiment de dépossession de soi, aussi, car se consacrer à son art c’est parfois accepter de renier d’autres aspects de son existence. Mais enfin et surtout le sentiment d’imposture. Mérite-t-on vraiment autant d’adulation juste pour quelques chansons ? Et sommes-nous vraiment les auteurs de ce qu’on a produit, au fond ? Peut-on vraiment prétendre qu’on a subi aucune influence lors de notre processus de création ? Mieux encore : est-on vraiment à la hauteur de ce qu’on veut atteindre ; de ce qu’on veut transmettre ? (
En cela le personnage d’Ed Sheeran est beaucoup plus intéressant et subtil qu’il n’y parait, notamment dans sa capacité à reconnaître qu’il n’est pas capable d’aller au même niveau que Jack et qu’il va falloir qu’il accepte de ne pas être à la « hauteur ».
) Certes, en soi, tout ça n’a rien d’original, mais c’est là et ça permet non seulement à « Yesterday » d’être un film dense, mais surtout d’être un film qui parvient à incarner cette simplicité ; à la rendre sensible, palpable, vibrante… Et sur ce point le talent du duo Boyle / Curtis sait quand même bien mener son office… Enfin, quand je parle de duo, en fait je parle surtout de Richard Curtis car je trouve quand même que l’essentiel de la plus-value de ce film vient de son écriture. Pour le coup on retrouve tous les motifs habituels de l’auteur de « Love Actually » ou de « Il était temps » : l’amour innocent à fleur de peau, la valorisation des instants vrais et simple au dépend du faste et de l’artifice, et surtout cette vision particulièrement bienveillante des gens. D’ailleurs, plus qu’un biopic ou qu’un film sur les Beatles, ce film est avant tout une romance comme Richard Curtis sait les faire. Une histoire d’amour ; pour les gens et / ou pour la musique. Dans ce film tout le monde est reconnaissant pour ce qu’il donne et tout le monde est récompensé dès qu’il sait faire l’effort de donner (
…jusqu’à Gavin qui se fait piquer sa meuf mais qui, parce qu’il a été bon prince, sait la « céder » pour récupérer derrière une autre nana toute aussi choupi.
) Et pour vous dire : ç’en est à tel point que tous les éléments qui m’ont frustré dans ce « Yesterday » sont au final les mêmes que ceux qui m’ont frustré dans le dernier film de Richard Curtis : « Il était temps ». Il y a d’abord l’excès évident de mièvrerie. Je veux bien que Lily James soit trop choumimi et qu’elle doit rappeler à l’ami Richard les débuts de Keira Knighley dans son « Love Actually », mais au bout d’un moment, il faut tout de même savoir mettre des limites. Surtout qu’à contrario l’ami Himesh Patel n’est quant à lui pas si choumimi que ça, la faute à son personnage qui – certes est volontairement tête à claque au départ – mais qui à la fin devient carrément creepy (
Eh ! Super ta prise d’otage à la fin du film, Jack ! Tu filmes la meuf que tu kiffes contre son gré ! Tu créés tout un dispositif de pression de masse lors de ta déclaration d’amour et – pire – tu fais ça alors que la nana est engagée auprès d’un autre gars et que ce gars est SPECTATEUR de ladite scène ! Alors OK, peur-être que pour certains c’est #soromantik mais moi, quelqu’un me fait un coup comme ça, je peux te jurer que je déboule sur la scène et que je lui fous ma main dans la face !
) Et puis l’autre frustration concernant l’écriture de ce « Yesterday » vient de cet effet de gâchis que déclenche à chaque fois cette floraison d’idées propre aux films de Richard Curtis. Car à côté des pistes intelligemment traitées il y a toutes celles qui sont à peine ébauchées – qui auraient presque pu mériter qu’on en fasse un autre film – mais qui au final finissent comme des lettres mortes.
Dans ce « Yesterday », la championne des lettres mortes toute catégorie revient notamment à cette piste concernant l’inspiration des auteurs. A un moment, on voit Jack en baver pour retrouver les paroles de la chanson d’Eleanor Rigby. Il cherche et cherche encore mais il ne se souvient plus des paroles. Il se sent même obligé d’aller sur place pour trouver l’inspiration qui lui permettra de retrouver le sens de cette chanson. Or c’est justement à ce moment là qu’Ellie débarque ; qu’il se rend compte qu’il est amoureux d’elle, que quelque-chose se passe et lui échappe. Et là – bim – tout devient évident. Jack va abandonner Eleanor Rigby et compléter les paroles avec ce qu’il ressent pour Ellie. Et là va dès lors se poser la question : cette chanson nouvelle – si elle devient un carton – qui en devient l’auteur ? Les Beatles ? Jack ? Les deux ? A ce moment là vient la possibilité de questionner les sources mutuelles d’influence, l’idée que la musique est un art collectif d’influence mutuelle et difficile à circonscrire en un seul individu ! …Sauf que non. Jack ne va pas recomposer « Eleanor Rigby ». Richard passe à autre chose. Snif.
Franchement, ce film sent tellement le Richard Curtis à plein nez qu’on m’aurait dit que c’était lui qui avait réalisé le « Yesterday » que je l’aurais cru sans problème. Parce qu’oui, en définitive, moi je trouve que la patte de Danny Boyle ne se ressent pas trop. Certes il a toujours ce sens du rythme inégalable, notamment dans le montage, dans les moments de suspension, mais aussi dans cette capacité qu’il a parfois à donner provoquer de vrais décharges sensorielles (J
e pense notamment à ce climax lors du concert final. D’un coup, toutes les lumières de téléphone se rallument, les cris s’enflamment, tout s’embrase très vite, comme pouvait le faire par exemple le jardin botanique dans « Sunshine ». Pour ce genre de petits montages frénétiques, je dois bien avouer que je suis très criant de Boyle.
) Le problème c’est qu’il y a aussi des fioritures que je ne comprends pas, notamment ces dutchs angles qui popent un peu n'importe quand et n'importe comment ou bien encore ces noms de lieux ou titres musicaux qui s’incrustent dans le décor d’une manière assez hideuse. Non seulement je ne comprends pas l’esthétique assez hideuse de la chose, mais en plus – à bien y réfléchir – je trouve vraiment que ça n’apporte rien ; seulement de l’information très superficielle et clairement dispensable. Mais bon, l’un dans l’autre je pense que vous l’aurez malgré tout compris : moi ce film je l’ai beaucoup apprécié. Et je l’ai beaucoup apprécié parce que, bien qu’au fond assez simple, il est parvenu à trouver cette petite idée de génie qui lui permet d’être bien plus qu’un simple spot promotionnel pour un énième album collector. D’ailleurs, à bien y réfléchir : n’est-ce justement pas à ça qu’on reconnait les vrais artistes ? Ceux qui, avec peu de choses, sont justement capable de faire quelque-chose qui sort du lot ? …N’est-ce pas Bryan Singer ? Mais bon… Après, ça ne reste que mon point de vue. Donc si vous n’êtes pas d’accord et que vous voulez qu’on en discute, n’hésitez pas et venez me retrouver sur lhommegrenouille.over-blog.com. Parce que le débat, moi j’aime ça… ;-)