Kore-eda s'est lancé dans ce projet parce qu'il avait entendu parler de familles touchant illégalement la pension de retraite de leurs parents qui étaient morts depuis longtemps. "La première chose qui me soit venue en tête a été cette phrase : « Seul le crime nous a réunis ». Au Japon, les fraudes à l’assurance-retraite et les parents qui obligent leurs enfants à voler sont sévèrement fustigés. Bien entendu, il est légitime de vilipender les auteurs de tels actes, mais je me demande pourquoi on se met en colère pour des délits aussi insignifiants alors qu’il y a des milliers de criminels qui commettent des actes beaucoup plus graves en toute impunité. Depuis le tremblement de terre de 2011, je m’interroge sur ceux qui répètent sans cesse que les liens familiaux sont importants. Et j’ai donc eu envie d’explorer la nature de ces rapports en m’intéressant à une famille liée par des délits.", confie le cinéaste.
Kore-eda a collaboré avec le directeur de la photo Kondo Ryuto et le compositeur Hosono Haruomi. "Je voulais travailler avec Kondo depuis très longtemps car c’est l’un des meilleurs chefs-opérateurs japonais. Grâce à son point de vue, très riche, sur la mise en scène, il propose de nombreuses interprétations de l’histoire et des personnages. Du coup, j’ai pu me concentrer davantage sur la direction d’acteur, sans avoir à me soucier de la lumière. Avant le tournage, je me disais que ce film était une fable et je me demandais comment insuffler de la poésie au coeur de la réalité qu’il décrit. Car même si le film est réaliste, je voulais évoquer la poésie des êtres humains qu’on y rencontre, et la photo comme la musique faisaient partie des outils que je souhaitais utiliser pour y parvenir. Concernant la musique, j’adore les bandes-originales de Hosono, si bien que j’ai toujours rêvé de travailler avec lui. Dans le film, sa musique s’accorde à merveille à la dimension fantasmatique du récit", explique le metteur en scène.
Après avoir remporté le Prix du Jury sur la Croisette en 2013 pour Tel père, tel fils, Kore-eda est reparti avec la récompense suprême, la Palme d'Or, pour Une Affaire de famille, 5 ans plus tard.
La Palme de la discorde entre le réalisateur Hirokazu Kore-eda et le Japon ? Comme l'a révélé Le Point, par l'entremise de sa correspondante au Japon, Une Affaire de famille, sacré à Cannes, ne plairait pas au pays dont est originaire le cinéaste palmé.
Comme le constate le magazine, le gouvernement japonais n'a fait aucun commentaire sur cette prestigieuse récompense, alors qu'en temps normal le pays s'empresse de féliciter ses ressortissants. "Il est possible que le commentaire gouvernemental n'arrive jamais, à moins qu'il ne soit arraché par un journaliste de la bouche du porte-parole de l'exécutif lors de sa conférence de presse quotidienne lundi, écrit Le Point dans ses colonnes. Mais ce n'est pas Kore-eda qui se plaindra que le Premier ministre et ses proches l'ignorent, bien au contraire. En effet, le réalisateur de nombreuses chroniques familiales déchirantes n'est pas un fan de Shinzo Abe ni de sa politique. Et le film primé, Manbiki kazoku (littéralement, La famille des vols à l'étalage), inspiré d'un fait divers, dénonce les effets néfastes de la division de la société japonaise, une situation que Kore-eda attribue en partie à la politique menée par le gouvernement Abe."
Rencontré à Cannes, le cinéaste ne s'est pas caché à notre micro de s'intéresser de façon critique à la société japonaise : "Je n'avais pas forcément l'intention que chaque personnage incarne un problème de société en particulier mas j'avais envie de décrire une famille qui est au bord du gouffre, sur le fil. Elle est toujours en danger et pourrait se retrouver dans les bas-fonds de la société mais qui, grâce à ces petites magouilles, arrive à garder la tête hors de l'eau. C'est pour cela que chaque personnage est relié à un des problèmes actuels de la société japonaise. J'avais envie de décrire cette famille qui n'est pas encore marginalisée et qui se bat pour ne pas l'être davantage". Et d'ajouter : "Autrefois au Japon, la classe moyenne était très importante et aujourd'hui, elle se délite. Ce n'est pas une situation propre au Japon : le fossé se creuse entre les très riches et les très pauvres qui ont du mal à subsister en dépit du fait qu'ils travaillent. Parfois, ils peuvent toucher plus en allocations qu'en travaillant.
Une affaire de famille a remporté le prix du Meilleur Film Étranger lors de la 44e cérémonie des César. Malheureusement et à la surprise générale, personne n'est monté sur scène pour récupérer le trophée. Hirokazu Kore-eda était absent car il assistait le même week-end à la cérémonie des Oscars, où le film était également nommé dans la même catégorie. Le réalisateur japonais n'a pas manqué de partager sa déception, d'autant qu'il avait écrit un texte en cas de victoire, comme il le confie aux colonnes du JDD : "J'avais rédigé et confié un message à mon équipe française au cas où le film serait primé. Mais il semblerait qu'un petit couac ait empêché le message de vous parvenir et que personne n'ait été présent dans la salle pour recevoir le prix à ma place. Au nom de toute l'équipe du film, je présente mes plus sincères excuses à l'Académie des César pour cette impolitesse".