Fred Grivois s'est attaqué à ce projet plusieurs années avant La Résistance de l'air (2015), son premier film. C’est un tireur d’élite qui lui avait raconté cette opération à haut risque qui s'est déroulée en 1976 à Djibouti, précisant qu’elle était à l’origine de la création du corps de police le plus aimé des Français, le GIGN. Le metteur en scène se rappelle : "J’y ai immédiatement décelé tous les ingrédients d’une grande aventure: de vrais héros au sens classique du terme, de la tension, presque comme dans un western ! À petite échelle c’est l’histoire de jeunes hommes qui vont devenir des adultes en 36 heures. Mais leur petite histoire s’inscrit dans la grande, celle avec un grand H. Car ils ont été les acteurs, en pleine guerre froide d’événements qui les dépassaient. Je trouve aussi amusant que leur acte de désobéissance vis-à-vis du pouvoir soit l’acte fondateur du GIGN. C’est mon agent qui m’a poussé à ressortir mes notes… Et c’est devenu un film !"
Il y a eu, à l'époque, une sorte d’embargo de la presse sur cette affaire car ses protagonistes ont pris un risque insensé et ont désobéi. Fred Grivois a donc commencé par rencontrer les anciens du GIGN, et l’un d’eux possédait quelques coupures de presse. "Nous avons recherché et trouvé d’autres archives : l’article le plus exhaustif, le plus intéressant et le plus détaillé, mais truffé de réflexions d’un racisme inouï, était cinq pages dans Minute ! Paris- Match aussi avait bien couvert l’affaire, et Le nouveau détective avait fait paraître un article très intéressant", confie le cinéaste.
Fred Grivois voulait faire un film court et sec. Il était donc évident qu’il allait devoir faire des choix et tordre la réalité pour raconter plus de deux jours entiers en une heure et demie. C’est ce que le réalisateur a trouvé le plus difficile à faire dans tout le processus de conception de L'Intervention, sachant qu'il prenait le risque de trahir d’une manière ou d’une autre les faits et ceux qui y ont participé. Il précise :
"J'avais lu des interviews de Mark Boal (scénariste de Démineurs et de Zero Dark Thirty) où il recommandait de fusionner les personnages réels dès qu'ils donnaient l'impression d'avoir la même fonction. J’ai utilisé ce procédé assez souvent en restructurant les faits réels. Ensuite, le mélange fiction-réalité évolue selon les besoins et les temps du récit. J’ai pris bien sûr des libertés : l’agent de la CIA est une invention, j’avais besoin d’un personnage introduisant les enjeux géopolitiques de l’époque mais aussi d’un Candide vis-à-vis des hommes de l'unité. La présence d’une base américaine sur le territoire de Djibouti et l’existence d’un dossier sur l’affaire aux Archives du Congrès américain, me fait penser qu’ils ne devaient pas se trouver si loin. De la même façon, Josiane Balasko incarne la position de l’État français : pas de prise de risque, des négociations dans l’ombre et des mallettes d’argent liquide, contrairement aux Américains qui ne négocient pas face au terrorisme. Sauf que ce jour-là, on n'a pas négocié !"
Fred Grivois a tourné L'Intervention essentiellement caméra à l'épaule à l'exception de quatre ou cinq plans en pied, statiques, et des points de vue tournés à la longue focale. Esthétiquement, le metteur en scène voulait faire quelque chose de très nerveux, ce qui a posé beaucoup de problèmes lors du montage. "Mais pour moi, le côté seventies était une évidence et mon passé de graphiste m’a permis d’y retrouver un vrai plaisir. Cela m’évoque des films que j'adore comme L’Affaire Thomas Crown. Le split-screen est un outil narratif à la fois ludique et puissant qui permettait de dynamiser le statisme de certaines scènes", raconte-t-il.
L'Intervention a été tourné au Maroc, à une demi-heure de Marrakech, en plein désert. Fred Grivois se rappelle d'avoir connu une journée avec 52° à l’ombre. Les artificiers marocains avaient tendance à exagérer les charges d'explosifs, et il y a eu quelques accidents : Alban Lenoir s'est déboité une épaule et s'est brûlé une main, et David Murgia a fini avec cinq points de sutures dans la paume gauche. Le réalisateur se souvient : "Mais cela n'a arrêté personne car tous étaient motivés et désireux de faire partie de la bande. Physiquement, le tournage a été éprouvant : on tournait à 2 caméras et en équipe double en permanence, ce qui est très difficile mais qui permet de gagner du temps. Je tire un coup de chapeau particulier à Julien Meurice, chef-opérateur et cadreur, qui portait 8 kg de matériel sur l'épaule tous les jours."
Fred Grivois et son équipe ont pu poser leurs caméras sur la plus grande base militaire du pays où avaient été tournés La Chute du Faucon Noir et la série Jack Ryan. Il explique : "Les autorités marocaines nous ont beaucoup aidés, nous avions même un fourgon blindé surveillé par l'armée pour nos armes et explosifs. Un jour, nous avons perdu une balle et nous avons dû fermer le plateau jusqu'à ce qu’elle soit retrouvée : l’un des techniciens a dû passer tout le sable au détecteur de métaux !". L'équipe de tournage a par ailleurs creusé un puits et reconstruit leur mosquée aux habitants d'un villages à côté duquel le film a été tourné : "Nous avons engagé une partie des habitants, dans les équipes déco et régie. C’est une bonne chose d’avoir pu donner un peu à ces gens qui nous ont si bien accueillis dans leur village..."
Le film pointe les atermoiements de la diplomatie et de l'État français face à une situation d'urgence qui nécessitait des décisions rapides. Fred Grivois développe la question du contexte du film : "L’histoire se situe en pleine guerre froide, à un moment où les rapports de force pouvaient basculer : si la France perdait ce petit bout de territoire, pas plus grand que la région parisienne, l’accès au canal de Suez était perdu et les positions occidentales au Moyen-Orient en auraient été bouleversées. Il y avait quelque chose de cocasse dans la trajectoire de ces hommes coincés dans un contexte historique qui les dépassait, et contraints pour sauver les enfants otages de tuer des forcenés. Même s'ils n'étaient pas encore constitués en GIGN, leur éthique était déjà "s’engager pour la vie", c’est-à-dire préserver la vie de tous, quels qu’ils soient. Ceci explique le dilemme de certains lorsqu’ils ont reçu l’ordre de tirer pour tuer, alors qu’ils étaient entraînés à "stopper" en touchant des points non létaux chez leurs adversaires. Ils ont connu quinze minutes de grande solitude face à une armée en état de guerre. Le communiqué officiel relate huit morts côté somalien, selon les témoignages que j’ai recueillis on atteint plutôt dix fois ce chiffre."