C'est en s'entretenant avec d'importants trafiquants de drogue, qu'il a rencontrés grâce à l'une de ses amies avocates, que David Oelhoffen a pu mettre son scénario sur pieds. Lors de ces échanges, il a constaté à quel point les vies de ces criminels sont bien loin des clichés romantiques que l'on peut avoir. Le metteur en scène se rappelle : "Beaucoup d’attente, beaucoup de peur et peu de romantisme. Ça m’a donné envie de voir cette même réalité « en face », chez les policiers. Le projet était né. La co-écriture de L’Affaire SK1, un film sur Guy Georges le premier serial killer répertorié en France, réalisé par Frédéric Tellier m'a été proposée à ce moment-là. Elle m’a permis d’approfondir ma connaissance de l’institution. De comprendre la réalité du métier. Et de nouer des contacts inattendus. J’avais donc une documentation assez unique des deux côtés de la barrière du trafic de drogue et j’ai commencé à bâtir une histoire sur ce thème."
Matthias Schoenaerts et Reda Kateb ont tous les deux fait des merveilles chez Jacques Audiard : le premier en boxeur chômeur dans De rouille et d'os et le second en pote de Tahar Rahim dans Un prophète. A noter également que le comédien Adel Bencherif retrouve Kateb après le film carcéral d'Audiard, et que Kateb avait joué l'un des deux rôles principaux dans le précédent film de David Oelhoffen, Loin des hommes.
David Oelhoffen a cherché à filmer la banlieue telle qu'il la ressent et loin des fantasmes, tout comme la vie policière et criminelle. Le réalisateur ne voulait par ailleurs pas reproduire des choses qu'il avait vues dans d'autres films. Il explique : "C'est un cadre qu'on s'est fixé dès le départ avec Marc du Pontavice, le producteur du film. Pas plus que moi, il n'a de goût particulier pour le polar. La seule façon de faire exister notre film dans ce genre désormais difficile à financer au cinéma, était de veiller constamment à sa singularité. A l'écriture, avec l'aide de Jeanne Aptekman, qui a co-scénarisé le film, nous avons ensuite essayé d’apporter à ces personnages, qu’ils soient simples banlieusards, trafiquants de drogue ou policiers, les mêmes nuances et la même complexité que dans n'importe quel drame. Les conflits intimes, politiques, familiaux se cristallisent sans doute d’une façon différente dans les quartiers favorisés ou dans les cités, mais ils ont partout la même richesse. J’essaie dans chacun de mes films de ne pas les simplifier."
David Oelhoffen avait des références et des influences au moment de la conception de Frères ennemis. Parmi elles, le film de mafia culte sorti en 2008, Gomorra, qui traite de la réalité italienne de manière originale et réaliste. "Il apporte un regard singulier et acéré sur une réalité locale bien spécifique. Et grâce à cela, il en devient universel", précise le cinéaste.
"Driss est capitaine de police à la brigade des stupéfiants. Il est doué pour son travail. Il aime ce qu’il fait. Il est issu d’un quartier populaire, d’une cité. Il a voulu, dès son passage à l’âge adulte, fuir son milieu d’origine. Son entrée dans la police participe de cette fuite et l’a beaucoup isolé. Loin de sa famille, de ses amis d’enfance, il semble pourtant avoir trouvé un point d’équilibre au début du film. Il vit avec sa fille de 14 ans. La mort d’Imrane, ancien ami d’enfance, devenu son « tonton » (indic), va tout faire basculer. Elle va le confronter violemment à tout ce qu’il avait voulu fuir, mais aussi à ses démons, ses zones d’ombre, sa culpabilité. Surtout dans ses retrouvailles avec Manuel, un autre ami d’enfance. Finalement, le trajet de Driss dans le film est celui de quelqu’un qui rentre chez lui."
Dans Frères ennemis, Sofiane fait ses premiers pas au cinéma. C'est la directrice de casting de David Oelhoffen, Justine Léocadie, qui a présenté le rappeur au metteur en scène. Ce dernier avait par ailleurs apprécié son talent de comédien dans un court-métrage, Terremère, de Aliou Sow. "Je l’ai vraiment pris pour ses qualités de jeu, ça me semble suicidaire d’engager quelqu’un pour profiter de sa célébrité ou s’offrir une caution banlieue. Je l’ai trouvé extrêmement fin dans son jeu, motivé et j’ai apprécié ses propositions qui m’ont souvent conduit à changer les dialogues pour m’adapter à une réalité - la banlieue - qu'il connait bien. C’était une aubaine de pouvoir m’appuyer sur son vécu", indique Oelhoffen.
Avec Frères ennemis, David Oelhoffen collabore une fois de plus avec le directeur de la photographie Guillaume Desfontaines. Les deux hommes ont opté pour filmer caméra à l’épaule. Le réalisateur raconte : "Guillaume s’est débrouillé pour tourner avec la mini Alexa en mettant des objectifs Leica qui étaient utilisés pour la première fois au cinéma. Du coup, grâce à cela, on avait une caméra ultra performante et toute petite. On a pu filmer sous des voitures, dans des endroits très exigus. À première vue, l’image peut paraître brute, mais elle est tout sauf naturaliste. Le cadre est stylisé, et tente de toujours mettre en valeur les comédiens."
"C’est un être humain qui vit, qui est organique, qui incarne des contrastes. Le définir, c’est le limiter, et tout l’intérêt du travail d’écriture de David Oelhoffen, c’est la complexité qu’il apporte à cet homme, que d’autres réduisent souvent à un cliché « le dealer » ou à une insulte comme « racaille ». Et puis avant d’être ce qu’il représente au niveau social, ce personnage est quelqu’un qui a besoin de donner de l’amour et d’en recevoir. La réalité professionnelle a construit son mode de vie, mais ça ne dit rien de sa personnalité. Quand on définit quelque chose, on est très proche d’un jugement. Ma définition de Manuel est que c’est le garçon le plus gentil au monde."
Au niveau de la bande-originale, David Oelhoffen cherchait quelque chose qui accompagne l’état émotionnel des personnages et non l'action. Il explique : "Avec Anne-Sophie Bion, la monteuse, on a monté le film de façon à ce que le récit fonctionne sans musique. J’avais envie d’un son moderne, électro, 2018. Mon ami et superviseur musical du film, Eric Karnbauer, m’a fait plusieurs propositions. Dès le départ, quand j’ai rencontré Gabriel Legeleux, dont le nom d’artiste est Superpoze, on s’est entendus sur la fonction de la musique dans ce film. J’aime son son mélodique. Il est allé très rapidement vers ce qui me convenait. Il a composé une musique beaucoup plus dark, plus tourmentée que ce qu’il fait d’habitude."