Présenté en compétition au Festival de Cannes 2019, Atlantique y a remporté le Grand Prix.
Atlantique est un prolongement du premier court métrage de Mati Diop, Atlantiques, tourné à Dakar en 2009. On y suit Serigne, un jeune homme qui raconte à ses amis sa traversée en mer. "C’est l’époque « Barcelone ou la Mort » où des milliers de jeunes quittent les côtes sénégalaises pour un avenir meilleur en tentant de rejoindre l’Espagne" raconte la réalisatrice.
Suite aux émeutes qui ont secoué Dakar en 2012, quelques mois après le printemps arabe, Mati Diop a eu envie de poursuivre ce qu'elle avait entrepris avec Atlantiques. Un soulèvement citoyen, appelé "Y'en a marre", porté par des jeunes sénégalais, appelait à la démission d'Abdoulaye Wade, alors président du Sénégal. La réalisatrice se souvient : "« Y’en a marre » tournait la page sombre de « Barcelone ou la Mort ». Pour moi, quelque part, il n’y avait pas les morts en mer d’un côté et les jeunes en marche de l’autre. Les vivants portaient en eux les disparus, qui en partant avaient emporté quelque chose de nous avec eux. Il s’agissait d’une seule et même histoire collective".
Malgré son sujet politique et social, Atlantique revêt une dimension fantastique et poétique. Lorsqu'elle réalisait Atlantiques en 2009, Mati Diop avait le sentiment que les hommes dont elle recueillait la parole étaient déjà partis : "Je trouvais qu’il régnait une atmosphère très fantomatique à Dakar et il me devenait impossible de contempler l’océan sans penser à tous ces jeunes qui y avaient disparu. Pour moi, faire un film n’est pas simplement raconter une histoire. C’est avant tout trouver une forme à une histoire". Désirant raconter une histoire de fantômes, il était alors logique pour elle de faire un film fantastique.
La réalisatrice a voulu raconter un amour impossible, "à l’ère du capitalisme sauvage. Un amour fauché par l’injustice, volé par l’océan". Elle s'est aperçue qu'elle n'avait grandi avec aucune figure de couple de noirs digne de Roméo et Juliette, à l'exception des héros de Touki Bouki, un film sénégalais réalisé par son oncle, Djibril Diop Mambéty.
La tour que l'on voit dans le film est en 3D et s'inspire d'un vrai projet architectural, la "Tour Kadhafi", initiée par l'ancien président sénégalais Abdoulaye Wade et Mouammar Kadhafi en 2009. Cette pyramide noire gigantesque surplombant Dakar devait être la première tour solaire et la plus haute d’Afrique. À l'issue de trois ans de construction, elle devait mesurer 200 m de haut, soit 60 niveaux et 100 000 m². La tour n'a finalement jamais vu le jour mais a marqué Mati Diop : "j’ai ressenti un mélange d’indignation et de fascination. Comment pouvait-on dépenser des millions dans une tour de luxe dans une situation sociale et économique aussi désastreuse ? Ce qui m’a dans le même temps fascinée est que cette tour, en forme de pyramide noire, avait pour moi l’allure d’un monument aux morts".
Le casting est constitué d'acteurs non-professionnels dans sa quasi-totalité. À l'instar de ses précédents films, Mati Diop ne voulait pas de visage connu au générique d'Atlantique. Un large casting sauvage a été lancé à travers Dakar, basé sur une stratégie précise, comme l'explique la réalisatrice : "Il s’agissait de trouver les acteurs dans l’environnement social des personnages du film. Par exemple, c’est sur un chantier que je suis allée chercher Souleiman. Et c’est derrière le bar d’une boîte de nuit de Saly que j’ai trouvé Dior. Je choisis des personnes qui, sans le savoir, sont déjà les personnages et surtout qui connaissent ces personnages mieux que moi".