La question politique et le débat social étaient déjà au coeur de des deux précédents longs métrages de Pierre Schoeller, « Versailles » et « L’Exercice de l’Etat ». Cette fois, le cinéaste plonge dans le passé avec Un Peuple et son roi. Une immersion dans les trois premières années de la Révolution française. "Après « L’Exercice de l’Etat », j’avais le désir de creuser le sillon du politique, et de m’en échapper. La continuité a pris la forme d’un retour aux sources. Un récit des origines. D’où vient ce gène français de liberté ? D’égalité ? De République… Quelle est cette révolution de 1789 qui n’en finit pas de nous hanter ? Cette histoire peut-elle se résumer à une dizaine de dates emblématiques ?… Tout me semblait m’amener à 1789. Par ailleurs, ce désir du film historique m’a entraîné en terrain inconnu. Costumes, décors, lumière, effets spéciaux, dramatisation des foules… Autant de questions nouvelles pour moi de mise en scène. Au final, ce périple dans le passé s’est révélé une vraie cure de jouvence", souligne le réalisateur.
Le film démarre en 1789 et s’achève en 1793 avec l’exécution du Roi. Pierre Schoeller revient sur cette envie de mettre en scène les premières années de la Révolution. "Ce qui m'a frappé, c'est l’enthousiasme, le courage de ces femmes et de ces hommes. Une manière unique de s’inventer une citoyenneté, des valeurs aussi fortes que l’égalité, la souveraineté, l’insoumission que des siècles et des siècles de pouvoir leur avaient refusées. En 89, c’est tout un peuple qui se met à s’imaginer une autre existence, toute une nation qui bâtit une nouvelle société. C’est cette énergie créatrice qui m’a nourri et soutenu pendant les longues années pour mener à bien ce projet. Littéralement, elle a porté tous ceux qui ont participé au film. Cette énergie, elle infuse tout. Elle est dans les discours, dans les journées insurrectionnelles. Dans les chants. Dans les parcours des personnages qui ne cessent de se transformer au fil des événements. Elle est dans les grandes secousses révolutionnaires. Alors que je finissais le montage de « L’Exercice de l’État », les révolutions arabes éclataient de pays en pays. J’ai eu l’intuition qu’un des signes simples qu’une révolution s’empare d’une société, d’un peuple, c’est quand les événements entraînent des inconnus à un héroïsme ordinaire, anonyme. Si cela vous arrive, ou à votre frère, à votre voisin, à celui qui n’avait que la vente de quelques fruits pour vivre, cela veut dire que vous vivez un temps révolutionnaire."
Un peuple et son Roi a mis sept ans à voir le jour. Pierre Schoeller en parlait pour la première fois en 2011, en terminant « L’Exercice de l’Etat ». "Pierre m’a reparlé de son désir de consacrer un nouveau film à la Révolution française, idée qu’il avait déjà évoquée avant le tournage ; un film qui mette en scène la pensée et la parole politique et ne se cantonne pas à la succession des événements comme l’avaient fait Robert Enrico et Richard T. Heffron au moment du Bicentenaire de la Révolution. Et il avait envie de donner une large place à des personnages issus du peuple", confie le producteur Denis Freyd.
Comme pour chaque film, il y au commencement un scénario… Tout l’enjeu de l’écriture fut de détacher le scénario du sujet plus général de la Révolution française. "On n’aborde pas un projet pareil sans beaucoup lire. Et annoter les ouvrages. Par chance, nombre d’historiens ont répondu présents. Les principaux ont été Arlette Farge, Sophie Wahnich, Guillaume Mazeau et Timothy Tackett. Ils m’ont encouragé, ils m’ont guidé dans cette aventure avec bienveillance et disponibilité. J’ai lu et relu les débats de l’Assemblée concernant des journées qui m’intéressaient pour le récit. Chacun peut le faire, ces débats sont disponibles sur Gallica (la bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France). C’est une mine. Un continent de paroles, de chansons, de dessins, de caricatures. Le film, les dialogues, les décors, les plans, les personnages, tout vient de là. Jusqu’aux dimensions de la salle du Manège qui a accueilli les députés de la Constituante et de la Convention. Une foule de détails. La myopie du Roi. Le perruquier de Robespierre. La fourrure au cou de Marat. Je n’ai rien inventé. Je me suis laissé sagement envahir. Pendant trois années d’écriture, j’ai vécu dans un monde parallèle. Pour moi, la mise en scène doit toujours partir de choses très concrètes, très simples. Des faits et toujours des faits. Que faisaient les patriotes de Paris le soir du 14 juillet ?… Robespierre lisait-il ses discours, ou bien s’autorisait-il une part d’improvisation ?… Qui s’opposait aux droits de l’homme ? Comment la Reine a-t-elle vécu l’abandon de Versailles ?… Que faisaient les enfants de Paris au milieu des insurrections ?… Comment des femmes par centaines ont-elles trouvé l’énergie de marcher quatre heures durant sous la pluie froide d’octobre ? Et de passer la nuit blanche à la toute jeune Assemblée nationale… Quel était ce silence qui accompagna le Roi à la guillotine ?…", confie Pierre Schoeller.
Les femmes sont omniprésentes dans Un Peuple et son roi. Certaines, comme Françoise (Adèle Haenel), rêvent de femmes citoyennes… C’est un fait historique : les femmes étaient là à toutes les dates clés. "Et dès 1789, dès les cahiers de doléances. Là, et bien là… Mais le premier événement majeur, c’est octobre. Cette marche des femmes sur Versailles, aux yeux de tous (députés, noblesse, bourgeois de Paris…), c’est l’irruption des femmes sur la scène politique. Et plus encore, il y a ce qu’elle a entraîné, un événement impensable alors : que le Roi et la Reine se résolvent à quitter Versailles pour venir à Paris. Octobre, c’est un tournant décisif de la Révolution. Parce que pour la première fois des femmes de la Halle, des maraîchères, des lavandières, des vendeuses de harengs (Reine Audu), une chocolatière (Pauline Léon), font entendre leur voix au coeur de la toute jeune Assemblée nationale (qui siégeait à Versailles). On assiste à l’éruption de l’énergie populaire au coeur du pouvoir", explique Pierre Schoeller.
Laurent Lafitte donne une image assez inédite du Roi Louis XVI. "Le Roi c’est l’autre figure du titre. Je voulais un Louis XVI qui sorte un peu de la figure convenue du monarque victime, dépassé par les événements, bref un Louis XVI sacrificiel et finalement dégagé de ses responsabilités… Cette vision arrange peut-être les nostalgiques et les défenseurs d’une révolution douce, mais malheureusement elle ne résiste pas à l’examen des faits. Louis XVI était polyglotte, c’était un esprit curieux, rationnel, précis, lucide. La question avec lui, c’est sa foi inébranlable qu’il est le dépositaire du bonheur de son peuple. Tant qu’il avalise les réformes vertigineuses de 89 (et souvent sous la pression et le rapport de force), il est adulé. Son aura est très forte. Mais la Révolution prend un cours imprévu. La monarchie constitutionnelle est mal engagée, aussi du fait du double jeu de Louis XVI qui complote avec les cours étrangères… Et après la séquence politique de la fuite à Varennes, le lien est vraiment abîmé, rompu avec le peuple. Louis XVI ne se remettra jamais de cette trahison. À partir de là, le Roi a un destin profondément tragique. Vous comprenez bien qu’il fallait un comédien d’exception. Laurent Lafitte a été un allié plus que précieux", relate Pierre Schoeller.
La mise en scène de Pierre Schoeller concernant les débats politiques est d’une grande vitalité. On éprouve presque physiquement le plaisir qu’ont ces députés et citoyens à débattre dans la salle du Manège. On suit les débats, on saisit les enjeux qui agitent ces députés. "D’un commun accord avec mon producteur, Denis Freyd, nous nous étions fixés deux objectifs : ne pas céder à la tentation de Prague, rester en France, en région parisienne. Et limiter les effets spéciaux à leur stricte nécessité. Donc nous n’avons pas tourné en studio. Le chef-décorateur Thierry François a reconstruit la grande salle du Manège aux deux-tiers, en bois, dans un site exceptionnel, le réfectoire de la Maison d’éducation de la Légion d’honneur à Saint- Denis. Une chance unique, car son architecture est vraiment semblable au bâtiment qui bordait le jardin des Tuileries. Les gravures en témoignent."
Les députés de l'Assemblée ont le visage de Robespierre, de Marat, de Barnave et de Saint-Just. Pierre Schoeller explique sa façon de travailler avec les acteurs incarnant ces figures historiques. "Je voulais que le spectateur découvre ces discours, non pas comme des pages d’histoire, mais comme des interventions actuelles, contemporaines, au sens de ce temps de 1789 ou de 1792. Que ces discours sonnent dans leur première fois. J’ai donné à chacun des acteurs l’intégralité du discours, avec les interventions d’avant et d’après. Un discours n’existe pas seul. Il naît dans le cours d’un débat, il y répond ou s’y oppose. Parfois, en accord avec le comédien, j’ai rajouté du texte, des paragraphes. En règle générale, nous avons un peu plus tourné de textes. Cela m’a laissé la liberté au montage de recomposer les interventions, en insistant sur les dynamiques de jeu, de mieux rythmer l’intensité de ces prises de paroles. Après pour le travail singulier, je dirais que chaque comédien avait son propre défi. Pour Denis Lavant (Marat), c’était de réussir à faire restituer, en quelques traits, et humainement, cette figure extrême et complexe qu’était l’ami du Peuple.
Pour Niels Schneider (Saint-Just), c’était une alliance très spéciale de jeunesse, d’audace politique, d’envoûtement. Pour Pierre-François Garel, ce fut de donner de l’ampleur, de la densité à un personnage moins connu mais très important en son temps, l’avocat Barnave, un des jeunes orateurs de 89 les plus brillants. Enfin, Louis Garrel, le défi des défis, c’était de proposer un Robespierre de 30 ans, jeune, un Robespierre qui émerge, qui peu à peu se construit sa figure d’inflexible. On est parti d’une simple image : celle du grain sable. En 1789, le jeune Robespierre idéaliste et orateur rigide est largement moqué par ses pairs. En 1792, ses interventions débutent dans le silence, car Robespierre est au coeur des enjeux politiques, et de la destinée de la France. Louis n’a pas eu froid aux yeux. Il campe un Robespierre posé, déterminé, droit, celui qui ne dévie pas. Après je vous dirais, que notre plus grand allié dans l’histoire, ce sont les mots, les paroles de ces députés. Vous entendez leurs mots. Il n’y a eu aucune réécriture, aucun changement dans la chronologie, seulement des coupes et du montage."
Pour restituer l’ambiance des débats, discours et pétitions, Pierre Schoeller et son équipe ont tourné à deux caméras, les archives à la main. "L’essentiel était de sortir les grands discours de leur aura consacrée. De poser l’orateur dans la lumière, l’immerger dans l’écoute de ses collègues, les interpellations, le jeu de chorus avec les tribunes populaires. Le défi, mon obsession des 45 jours de tournage, ce fut le présent, le présent, le présent. Non pas réciter une table des lois révolutionnaires, mais traquer l’improvisation, le détail humain, les émotions, la fragilité. Car je peux vous dire que la prise de parole d’un acteur devant plus d’une centaine de figurants et d’acteurs qui écoutent chacun de vos mots, a une saveur particulière, une intensité que la caméra et le montage j’espère restituent fidèlement. Et sans des comédiens investis jusqu’au dernier votant du procès du Roi, ces scènes du Manège seraient aussi mornes qu’un débat de la Troisième République", souligne le metteur en scène.
Pierre Schoeller a travaillé une nouvelle fois avec son chef-opérateur fétiche, Julien Hirsch, qui a signé la lumière de tous les films du réalisateur. "Là, le défi était simple : no electricity ! Parlons des nuits : flambeaux, torches, bougies, lanternes, lueur de la cheminée ou lueur du four du verrier, lustres de la salle du Manège. Les sources sont dans le champ, et très souvent manipulées par les acteurs et figurants. Cela donne cette lumière si singulière, une lumière vivante comme les flammes, animée. Elle n’arrête pas de vibrer, de bouger sur les visages et les décors. Une lumière réactive comme un animal rebelle. Elle peut être très douce et d’autres fois très tonique. Il faut accepter la pénombre ou, au contraire, des jaillissements de clarté très forts. Parlons des jours. Je les ai voulus lumineux comme un été. Solaires. À étudier la chronologie révolutionnaire, j’ai été frappé par la répétition de faits décisifs en juin, juillet, août. Été 89, la Bastille. Été 91, la fuite à Varennes. Été 92, l’insurrection de Paris et la prise du Palais des Tuileries. Été 2017, tournage du film !… Et j’ajouterai un autre détail : la salle du Manège avait de grandes fenêtres exposées plein sud. Et par chance notre décor également. D’où cette clarté chaude, estivale qui donne sa principale tonalité aux jours du film."
Pierre Schoeller évoque le défi du travail sur le son dans Un Peuple et son roi : "Avec les ingénieurs du son Jean-Pierre Duret et Jean-Pierre Laforce, on se doutait que cela allait être un chantier énorme, et on n’a pas été déçus. Tout était à inventer : l’ambiance des rues de Paris en 1789, les éclats et les grondements de la toute première Assemblée nationale. Sans parler des scènes insurrectionnelles. Enfin ce bouillonnement ne devait pas perdre de vue l’essentiel : entendre, et bien entendre cette parole des premiers temps de la Révolution. Le son du film contribue nettement à cette sensation de présent que je cherchais. C’est essentiellement du son direct. Je tenais beaucoup à ce que l’on rentre dans chaque scène par des perceptions sonores. C’est le froissement des robes des marquises. C’est l’énergie des femmes d’octobre avec leur chant, pris sur le vif, a capella..."
C’est Philippe Schoeller, le frère de Pierre Schoeller, qui a composé la musique du film. "C’est une musique originale pour orchestre qui épouse des événements précis avec, pour chacun, une résonance et une intensité particulières. Une musique ouverte qui évoque le monde en train de changer, avec des plages plus romanesques et plus classiques sur la fin. Je suis très heureux de cette nouvelle collaboration. Philippe a su trouver une amplitude musicale qui donne une autre dimension aux images. Très tôt dans le projet m’est venu le désir d’intégrer ces chansons a capella dans le film. Elles ont toutes été enregistrées sur le plateau, sans post-synchro. Les airs sont d’époque, les paroles aussi. Certaines sont improvisées d’après des sources révolutionnaires et populaires. Les chansons faisaient alors partie de la culture politique populaire. De même que la caricature, le théâtre. Dans le bouillonnement révolutionnaire, les chants ont eu la vie belle. Cela semblait évident de leur donner toute leur place dans la partition du film. Pour autant, elles ne sont pas illustratives. J’ai voulu les intégrer aux scènes, elles surgissent à des moments charnières, et souvent portent le coeur de l’émotion. Un chant, une voix, y’a rien de plus beau, de plus touchant", analyse le cinéaste.