1962 aux Etats-Unis. Si, dans le nord du pays, il n'existe pas, du moins officiellement, de ségrégation raciale, il n'en est pas de même dans le sud où les "lois Jim Crow" sont toujours en vigueur, avec ces "sundown towns", ces localités interdisant aux non-blancs de circuler la nuit, avec des logements et des salles de restaurant pour les blancs et les noirs clairement séparés, etc.. Pour leur éviter les dangers, un guide, destiné aux afro-américains souhaitant circuler dans ces contrées et fournissant les adresses acceptant la clientèle noire, avait vu le jour en 1936 : "The Negro Motorist Green Book". C'est dans ce contexte que Don Shirley, un pianiste noir venu du classique mais que sa maison de disque a orienté vers un mélange de classique, de jazz et de variété, décide d'entreprendre une tournée de 2 mois qui le conduira vers ce fameux sud et même dans la ville la plus outrageusement raciste des Etats-Unis : Birmingham. La ville où, le 10 avril 1956, un groupe d'hommes blancs, membres du Ku Klux Klan et du White Citizens' Council de la ville, ont attaqué le chanteur et pianiste Nat King Cole pendant qu'il se produisait sur la scène de l'auditorium municipal de la ville. Car, curieusement, si les noirs ne sont pas autorisés à satisfaire des besoins naturels dans les mêmes toilettes que les blancs ou qu'ils mangent à des tables voisines, les musiciens noirs ne sont pas systématiquement rejetés par les populations blanches de ces villes du sud. A 2 conditions : d'un côté, il n'est pas envisageable qu'ils aient la prétention de jouer les musiques savantes de Chopin ou de Bach, de l'autre, qu'ils s'abstiennent de jouer une "musique de sauvage" comme le blues. Non, ce qui est acceptable et même recherché, c'est ce que propose Don Shirley, qui, avec sa technique pianistique infaillible accompagnée par un violoncelle et une contrebasse, propose un show musical proche de celui de Liberace (cf. "Ma vie avec Liberace", film de Steven Soderbergh). Le but de Don Shirley en entreprenant cette tournée : contribuer, grâce à son talent, à changer les mentalités des populations du sud des Etats-Unis. Toutefois, par précaution, il doit engager, pour l'accompagner, un homme à tout faire, tout à la fois chauffeur et garde du corps. Cet homme, ce sera Tony "Lip" Vallelonga, un videur de boîte de nuit dont le lieu de travail a dû fermer provisoirement, un "rital" du Bronx au coup de poing facile, un homme plein de bagout et plutôt raciste dans son comportement de tous les jours.
C'est tout cela que nous raconte Peter Farrelly dans ce qui est sa première réalisation sans son frère Bobby. Un film tirée, une fois de plus, d'une histoire vraie, Don Shirley et Tony Lip ayant réellement existé et ayant réellement effectué cette tournée dans le sud. Un film très intéressant sur cette période de l'histoire des Etats-Unis, malgré quelques longueurs et quelques défauts typiques du cinéma américain : omniprésence de la musique, un peu trop de pathos (cf. la fin !), des "surprises scénaristiques" qu'on devine trop facilement (cf. la fin !). Un film qui, par ailleurs, amène le spectateur à se poser quelques questions. Certes, Don Shirley n'est pas vraiment accepté par les populations blanches et son style musical ainsi que son comportement font qu'il ne se sent pas intégré par les populations noires. Il n'empêche : lors d'une scène en voiture, on est surpris par son ignorance crasse en ce qui concerne des grandes vedettes noires de l'époque telles que Little Richard, Sam Cooke ou Aretha Franklin (encore que là, il a une excuse car Aretha Franklin n'était pas une chanteuse très populaire en 1962 !!), d'autant plus que, plus tard, dans une des meilleures scènes du film qui se déroule dans un "juke joint" de Birmingham, on le voit très virtuose en matière de boogie woogie. Son ignorance face à Tony Lip, un blanc appréciant ces musiciens noirs, était-elle réelle ou feinte ? Une autre question qu'on se pose : comment ce film a-t-il été reçu parmi une partie de la population du sud des Etats-Unis, la partie malheureusement non négligeable qui n'a pas encore abandonné ses vieux réflexes racistes et ségrégationniste ?
A côté de son intérêt historique, "Green book" révèle une autre qualité : la peinture de l'évolution des relations entre deux homme que tout sépare au départ, Tony devenant moins rustaud et Don moins "précieux". C'est peut-être ce dégrossissage qui a permis à Tony Lip de réaliser plus tard une carrière d'acteur dans des films comme "Le pape de Greenwich village", "Les affranchis" et dans le rôle de Carmine Lupertazzi dans la série TV "Les Soprano".