(On va chuchoter... juste au cas où
Alerte rouge ! Des bestioles que l'on imagine débarquer tout droit de la galaxie de l'Oreille Géante ont envahi la Terre ! Dotées d'une ouïe imparable comme principal système de détection, elles ont évidemment dégommé la plupart d'une humanité qui se complaisait dans un nombre bien trop grand de décibels. Les rares survivants vivent isolés avec une seule condition pour ne pas trépasser à leur tour : ne faire aucun bruit. Frappée par une tragédie voilà moins d'un an, une famille composée d'un père, d'une mère enceinte jusqu'aux oreilles et de leurs enfants (dont une petite fille sourde et muette) tentent de subsister en retrouvant un semblant de normalité dans un silence absolu. Mais, bien entendu, l'épée de Damoclès monstrueuse au-dessus de leurs têtes menace de s'abattre à tout moment...
Dans "Sans un bruit"... ben... il y a "sans un bruit" et c'est cette condition sine qua non pour ne pas finir en fines lamelles entre des dents monstrueuses qui fait justement tout le sel du troisième long-métrage de John Krasinski interprété par lui-même et sa femme, à la ville comme à l'écran, Emily Blunt.
En 2016, la très bonne surprise "Don't Breathe" avait déjà usé astucieusement du concept de faire du moindre son un synonyme de danger mais seulement le temps de quelques séquences qui marquaient déjà les esprits. Ici, John Krasinski pousse tous les curseurs de cette privation sensorielle à leur paroxysme en l'appliquant à l'ensemble de son long-métrage du fait des capacités hors-normes du danger qui ne rôde jamais très loin. Le film nous emporte ainsi dans son monde de silence où chaque geste du quotidien devient une mosaïque de menaces à la moindre perte d'attention des personnages, on devient d'ailleurs quasiment l'un d'eux, constamment sur le qui-vive, le souffle coupé, à guetter le moindre bruit qui pourrait causer leur perte. Et lorsque le tonnerre du moindre son s'abat, le temps se fige en attendant l'apparition des créatures toujours à l'affût, les jumpscares allant avec pourraient sonner comme une facilité mais il n'en est rien, eux-mêmes trouvent leur sens pour, bien sûr, nous offrir notre quota de frissons mais aussi, en accompagnant les créatures, ils symbolisent la punition infligée aux personnages pour avoir brisé les codes de leur propre environnement silencieux qui bascule soudain dans un monde de bruits chaotiques annonciateurs de leur plausible fin.
Bref, on est sans cesse scotché par la maestria d'efficacité dont fait preuve Krasinski pour jouer au maximum de son parti pris grâce à un travail remarquable sur le son et sa perception selon les personnages comme celle particulière de la petite fille sourde et muette. Happé dans cette ambiance d'apocalypse qui ne semble jamais vouloir se terminer et où même les créatures impressionnent par leur visuel, le spectacteur survit lui aussi aux côtés de cette famille pendant 1h30 où il est en permanence maintenu en haleine grâce à des petites trouvailles scénaristiques qui permettent d'étoffer l'univers de départ tout en maintenant l'utilisation du concept à son plus haut niveau.
Néanmoins, tout ça ne servirait pas à grand chose si le coeur émotionnel du film ne résidait pas avant tout dans les liens unissant cette famille, rassurez-vous, c'est heureusement le cas. Certes, John Krasinski tire parfois sur de grosses ficelles pour nous y attacher (peut-être le vrai point faible du film), il en fait, par exemple une famille vivant une transition forcément clé de son existence : encore sclérosé par le drame vécu mais tourné vers l'espoir d'un nouvelle naissance, chacun de ses membres est rongé par le non-dit des remords (normal avec ce silence symbolique) qui vont évidemment éclater en parallèle des attaques de plus en plus croissantes des monstres.
Pourtant, alors qu'on croit assister à un schéma classique qui ne pourra toucher notre âme de grand cynique, une énorme bouffée d'émotion totalement inattendue vient nous emporter au détour d'une séquence de la dernière partie, on reste bouche bée devant cette espèce d'empathie presque inconsciente dans les épreuves traversées qu'a su créer le réalisateur/scénariste pour nous attacher à tous ces personnages, le jeu excellent des acteurs y est aussi sans doute pour beaucoup (mention spéciale à la petite Millicent Simmonds souffrant de la même condition que son personnage et déjà brillante dans "Le Musée des Merveilles").
Sans être révolutionnaire, "Sans un Bruit" est un petit bijou d'efficacité sachant tirer pleinement profit de son concept redoutable mais qui se révèle également avoir un coeur insoupçonné en cours de route. Les fans de "The Office" ou de sa filmographie en tant qu'acteur et réalisateur ne s'y attendaient pas forcément mais John Krasinski vient de devenir un nom incontestablement à suivre dans le cinéma de genre.