Il aura donc fallu attendre vingt-cinq ans depuis "Le Club de la Chance" de Wayne Wang pour qu'un nouveau film hollywoodien ait enfin un casting 100% d'origine asiatique !
Récemment, quelques films US s'étaient fait remarquer en mettant en tête d'affiche un(e) acteur/actrice d'origine asiatique ("À tous les garçons que j'ai aimés" et "Searching - Portée Disparue" notamment) mais, au vu de l'importance de cette communauté aux États-Unis d'ailleurs souvent réduite à des stéréotypes cinématographiques, un électrochoc devenait une nécessité pour démontrer qu'un long-métrage porté uniquement par les visages de cette dernière avait le potentiel d'un véritable succès. En ce sens et rien que pour ce simple fait, "Crazy Rich Asians" mérite d'être salué dans sa démarche, d'autant plus qu'elle a été couronnée par un incroyable carton au box-office US, la preuve incontestable que le public est toujours bien plus en avance que certains producteurs frileux...
Seulement, voilà, si l'on ne peut que se ravir d'une telle initiative et de tout ce qu'elle induit comme avancées derrière, il faut maintenant juger "Crazy Rich Asians" en tant que pur objet cinématographique et cela va être hélas beaucoup moins glorieux...
En effet, si l'on évacue toute la symbolique positive entourant le film, la première question qui vient à l'esprit à la fin de son visionnage est simplement "À quoi bon ?". À quoi bon avoir un casting et un cadre totalement asiatique si c'est pour le fondre dans le moule d'une espèce de caricature de rom-com US comme on en a déjà vu des centaines de fois ?
Cette histoire de Cendrillon moderne qui voit une jeune femme américaine aux origines modestes affronter la famille richissime de son petit ami à Singapour enfile comme des perles absolument tous les passages obligés de la comédie romantique la plus rudimentaire qu'il soit. L'héroïne mignonne, gaffeuse et forte, le beau gosse idéal toujours prêt à se mettre torse nu, la potentielle belle-mère psychorigide, l'affrontement de deux milieux que tout oppose mais que l'amour finira par réunir, les seconds rôles rigolos ou gays... Tous les personnages standards du genre sont là dans une histoire qui ne fait pas le moindre effort pour arrêter le mode "pilote automatique" sur lequel elle se trouve. De l'inévitable montée en puissance du conflit petite amie/belle-mère jusqu'à l'enchaînement final de tête-à-tête entre tous les principaux protagonistes pour que tout se termine dans un happy-end rempli de bisous (ben oui, l'amour gagne toujours à la fin !), "Crazy Rich Asians" est tellement formaté dans la moindre mécanique de son déroulement qu'il devient impossible d'en espérer la moindre surprise.
Évidemment, la spécificité de la culture asiatique est tout de même présente en fil rouge et ouvre des pistes avec une tonalité quelque peu différente de ce qu'on a l'habitude de voir comme, par exemple, la haine vis-à-vis de l'Occident de la future belle-mère suggérée par la scène d'ouverture, l'importance de l'honneur familial, des classes sociales qui ne se comprennent plus par le prisme d'un couple en plein conflit ou de moqueries entre membres d'une même fratrie... Mais tout cela reste tristement à l'état d'évocations ne servant, au final, que de simples accessoires à la note exotique de l'ensemble au même titre que le faste des fêtes de Singapour et les plats locaux que la caméra aime beaucoup mettre en avant (le film donne horriblement faim). En fait, si on enlevait tous ces éléments, ça ne changerait en réalité pas grand chose à "Crazy Rich Asians" qui aurait très bien pu mettre en scène une autre culture dans n'importe quelle partie du monde.
Bon, le film de John M. Chu est loin d'être un supplice à suivre pour autant. Bien rythmé, efficace lorsqu'il cherche à nous impressionner en étalant l'opulence des fêtes de Singapour et guidé par une sorte de bonne humeur permanente titillant notre indulgence, "Crazy Rich Asians" a le mérite de faire briller Constance Wu (déjà remarquable dans la série "Fresh Off the Boat") qui apporte toute son énergie et sa fraîcheur dans un rôle que l'on connaît pourtant sur le bout des doigts et le film provoque aussi quelques sourires grâce à la tornade Awkwafina et aux personnages de sa famille (dont l'inénarrable Ken Jeong).
Mais, au-delà de sa distribution 100% d'origine asiatique et ces quelques qualités, rien ne justifie vraiment cette appellation de "film phénomène" pour ce qui est une simple bleuette prévisible, gentillette et qui sera probablement oubliée dès qu'une autre sortira du même moule dans quelques semaines.