Nadine Labaki, commence à freiner sur sa double casquette d’actrice-réalisatrice et se dédie pleinement à l’écriture de son nouveau film. Nous la connaissons pourtant audacieux dans ses interprétations et dans le choix de ses comédiens, car elle est parvenue à susciter de l’intérêt avec « Caramel » et « Et maintenant on va où ? ». Cependant, elle pêche toujours sur l’ambiguïté du sujet, sans doute encore trop dense pour se consacrer pleinement à la dénonciation. Elle incarne toutefois une avocate, donc un regard neutre, qui semblerait manquer de subtilité lorsqu’il faut épouser la sincérité d’un discours qui fâche. C’est pourquoi l’intrigue étudie ses personnages aux plus proches de la réalité, en évoquant tout ce désordre moral et amoral que le monde a à offrir aux derniers déchets de l’humanité, les enfants sans identité.
Avant la fougue de l’adolescence, il faut bien forger un esprit suffisamment solide pour qu’il envisage son parcours par la suite. L’enfance est un bon moyen de gagner en tendresse sur les écrans, mais il s’agit également d’une façon pertinente de montrer en quoi la vie ne dresse jamais une voie droite vers la paix. Le conflit est total au cœur d’une Beyrouth sans saveurs, sans volonté de réussite, sans échappatoire possible, mais sans plainte formelle. Les enfants y sont utilisés pour servir des voisins ou des parents qui n’assument pas les responsabilités qui leur incombent. Le débat sur la vie donnée à ces enfants défavorisés et qui se nourrissent de la misère est un exemple type d’un documentaire sensible, mais cela n’est pas toujours aussi théâtrale qu’on le souhaiterait. Plus démonstratif qu’explicatif, la dramaturgie mise sur l’authenticité afin de convaincre une audience qui ignore ou qui ferme les yeux sur des faits réels, détruisant des vies à chaque mauvais comportement. La descente aux enfers de Zain (Zain Al Rafeea) n’est donc qu’un support parmi tant d’autres, car l’exercice n’est qu’un énième renouvellement de décor.
Les faiblesses ne se marient donc pas bien avec des qualités, en minorité dans le récit qui accumulent les exemples liés à la misère. Les enfants sont vendus, tout comme les femmes qui sont également battues et enfin le plus fort fait toujours souffrir le plus faible, bien qu’il soit vêtu de la plus grande bonté possible. Zain en fait les frais dans son vagabondage immersif. Le cadre à la hauteur de son épaule permet de conclure à l’invisibilité de l’enfance dans ce genre de pays. C’est là qu’apparaît la faille dans la narration bancale et qui échoue sur l’effet de surprise. L’utilisation de flash-back dès le début du long-métrage change la donne. Le film ne se cramponne alors plus qu’à la fierté du réalisme. Mais pour le destin du personnage, c’est quelque chose qui marque peu étant donné que l’on connaît son sort. Ce sera vraiment son affiliation avec l’entourage qu’il tutoie au fur et à mesure du récit qui impactera sur notre conscience. Mais l’âme d’un cinéphile ne peut être doublée face à une supercherie aussi voyante. De plus, le manque de nuance dans les personnages des parents, notamment, est peu subtil et n’est jamais intégré à la mise en scène, qui surexploite également les retombées musicales qui martèlent chaque pas des personnages. On broie continuellement du noir, sans laisser entrevoir l’espoir, comme échappatoire. Il faut inévitablement finir par un faux sourire, qui nargue le concept et les lois qui ne sont plus destinés aux plus jeunes personnes de ce monde.
À l’image de « Lion » et bien d’autres odyssées de la misère, vues à travers l’œil d’un enfant, « Capharnaüm » se montre poignant, mais ne convainc pas dans la subtilité de son discours. La réalisatrice libanaise invoque donc la réconciliation des familles en désordre afin de soulager des cicatrices qui se forment chaque jour, quelque part dans le monde. Elle ne limite pas son discours macabre, dans le fond, c’est une bonne chose. Mais au bout du compte, les résultats ne sont pas ce qu’on l’on attendait et la légitimité d’être parent est mise à mal par les classes sociales. Si la pauvreté semble justifier tout un pan à l’égard de naissances gâchées, il serait intolérable et très désagréable de se pencher sur cette éventualité. Ce cas n’est pourtant pas isolé, mais la cohérence du discours pèse sur la conscience. Plein de bonnes intentions, le film ne trouvera pas la paix derrière ce qu’il cherche à dénoncer, sachant qu’inscrire un enfant à l’état civil au Liban est payant.