La première loi de la nature: c’est autour de ça que va graviter le scénario, et plus précisément l’histoire de ce fameux Roman J. Israel Esquire. N’attendez pas de moi que je vous révèle ce qu’est cette première loi de la nature, je préfère vous la laisser découvrir. Je ne vais pas dévoiler ce qui constitue l’essence-même de ce film, quand même ! Par contre, ce que je peux dire, c’est qu’elle constitue la ligne de conduite à laquelle s’accroche le personnage principal, le tournant du film (on le comprendra en fin de film), et… tout le propos du film. Ainsi, "L’affaire Roman J." est un cinéma bavard, très bavard, et en ce sens, ne plaira pas à tout le monde. Et pourtant, je vous promets que le sujet donne sacrément matière à réfléchir. Le plus remarquable dans l’écriture du scénario réside dans le fait que les propos optimistes, idéalistes, voire utopiques sont mis en confrontation directe avec les propos pessimistes. De ce fait, le long métrage de Dan Gilroy ne sera pas accessible à tout le monde, et surtout pas aux enfants. Même les ados risquent fort de ne pas comprendre la réelle profondeur du sujet. Un film à réserver aux adultes, donc. Dans une certaine mesure, c’est dommage. Dommage parce que tout le monde ne pourra pas profiter de la prestation une nouvelle fois magistrale de Denzel Washington. On connait l’immense talent de cet acteur qui à lui seul, est capable de sauver un film du fiasco le plus complet. Les nombreuses récompenses et nominations parlent suffisamment pour lui et témoignent de la qualité de sa filmographie, prestigieuse il faut le reconnaître. Pour ce rôle, il franchit un cap supplémentaire : kilos en trop et chevelure à la Jackson Five sont au menu de sa transformation physique. A cela on rajoute une tenue vestimentaire sortie tout droit des années 70, malgré tout soignée. Et pour couronner le tout, une démarche lourde, quelque peu pataude, accentuée par les grands pas de l’homme. Sa démarche si particulière fait penser à Baloo, l’ours de "Le livre de la jungle" (1967). D’accord, l’acteur a été aidé par le port de chaussures trop grandes. Mais quand même : tenir la distance au niveau de cette démarche si particulière et de ses manies est en soi une vraie performance, surtout si on réfléchit au grand nombre de prises qu’il a dû y avoir. Si encore ça ne s’arrêtait qu’à ça… On dirait que l’acteur ne se contente pas de jouer, même avec la plus grande application. Non, il fait preuve d’une énorme implication. Ainsi, il ne joue pas les personnages, mais il les vit ! Il a toujours les comportements justes, des postures toujours appropriées, une expression scénique inégalable et inégalée. Et c’est encore une fois le cas pour le rôle de Roman J., plus encore qu’à l’accoutumée. Personnellement, j’ai beaucoup apprécié tout ce qui anime ce personnage : cette fausse modestie, les balbutiements qui l’inondent alors qu’il est en prise avec une vive émotion, cette gêne très visible quand il sort de l’ombre alors qu’il n’y était pas préparé. Cet homme effectuait depuis tant d’années un travail d’ombre qu’il est resté coincé dans les années 70, au point d’en paraître anachronique et limite insignifiant, suscitant quelquefois la risée de quelques badauds. Je parle bien entendu de son apparence, et non pas des dossiers qui lui passent entre les mains. Ceux-là, il les connait sur le bout des doigts, tous comme les textes de lois, y compris les plus récents. Mais avant de découvrir cet homme apparemment sorti tout droit d’un coffre hermétique l’empêchant de suivre l’évolution de la mode au cours des nombreuses années passées, le film commence par une intro singulière : un homme qui porte plainte contre lui-même et qui choisit d’assurer sa propre défense. Eh bien les deux heures suivantes vont expliquer comment cette situation qui sort de l’ordinaire a pu arriver. A me lire, vous allez vous dire qu’il n’y a guère que Denzel Washington qui existe. Oui et non. Oui parce que son talent est tel que sa présence est omniprésente. Du coup, les autres rôles ont bien du mal à exister. Et non, il n’y a pas que Denzel Washington qui existe car Colin Farrell et Carmen Ejogo parviennent tout de même à tirer leur épingle du jeu. Si l’actrice réussit à amener à travers Maya un peu de douceur et de sensualité dans ce monde de requins que sont les institutions, Colin Farrell incarne un homme impitoyable, ambitieux, imbu de sa personne. Il rend une copie propre, mais le spectateur n’a pas trop l’occasion de suivre l’évolution de son personnage. Dans un sens, c'est un peu gênant, mais dans l'autre cela permet d'amener une pirouette finale pour le moins inattendue. Enfin on voit cette évolution, mais disons plutôt qu’elle a été survolée. La réalisation de Dan Gilroy est classique, mais efficace. Son film repose presque exclusivement sur les épaules de Denzel Wahington et heureusement que ce dernier est à la hauteur, voire même au-delà des espérances. Ce Roman J., impossible de ne pas le trouver touchant ! Cependant le cinéaste n’a pas réussi à éviter quelques faux raccords. Aaaah lala ! Dan Gilroy a semble-t-il du mal avec la gestion des portes. Un coup elles sont fermées et sur le plan d’après ouvertes (première confrontation entre Denzel Washington et Colin Farrell), un coup inversement (à l’hôpital, baie coulissante restée entrouverte puis sur le plan suivant complètement fermée). Mais qu’importe : cela n’altère en rien la performance de l’acteur afro-américain, ni la qualité de la profondeur du propos, dont le sujet serait un excellent sujet de philosophie. Sans compter que le propos est universel puisque ce sont les institutions qui sont visées, ce qui est pour le spectateur lambda comme moi toujours appréciable, bien que le discours ne s’encombre pas vraiment de cynisme, même le plus édulcoré qui soit. C’est assez bien ressenti, au vu de la psychologie de Roman J., lequel fut porté par l’espoir d’un monde meilleur, ce monde qui inspire (et a de quoi) un brin de fatalisme. Mais le cinéaste nous gratifie tout de même de quelques mises en scène remarquables, comme cette façon de filmer le tournant du film en faisant le tour plusieurs fois autour du personnage principal quand celui-ci se sent plus seul que jamais au beau milieu de nulle part. Si "L’affaire Roman J." n’est et ne sera jamais le film du siècle, il restera tout de même marquant dans la filmographie de Denzel Washington, tout simplement parce que c’est une de ses meilleures prestations dans la peau de cet homme idéaliste, voire utopiste, et ô combien engagé. Alors oui, l'hommage rendu en fin de film est poignant et se passe aisément de commentaires (en l'occurrence de dialogues).