Plus gros succès de l'année en Corée du Sud aux côtés de Dernier Train pour Busan, Tunnel est le prototype réussi du blockbuster à la coréenne, un film catastrophe qui s'échappe des codes à l'hollywoodienne pour mieux se concentrer sur l'humain. L'Homme est ici derrière le désastre qui nourrit le récit, mais aussi la victime qui subit et se voit contaminée par ce fléau.
Ce qui n'empêche pas le film d'offrir en premier lieu un spectacle assez ahurissant : l'éboulement du tunnel survient dès les premières minutes du film, avant même que l'exposition des personnages prenne vraiment forme, histoire de mettre dans le bain le spectateur de manière aussi sèche qu'ébouriffante. La scène se déroule entièrement du point de vue du conducteur, dans sa voiture, à travers un plan virtuose où la caméra suit la fissure explosant le plafond du souterrain, passant de l'arrière à l'avant du véhicule dans un brillant pano-travelling qui ferait pâlir Steven Spielberg.
La suite de Tunnel est tout aussi concise : le récit engage un certain dynamisme où la survie oppressante du personnage sous les gravats s'oppose au travail de l'extérieur - les douleurs de sa compagne, les sauveteurs qui s'évertuent à trouver une solution, la ministre qui s'accapare l'affaire, les grandes entreprises qui voient le désastre d'un mauvais œil, et enfin les médias qui déforme les faits pour le sensationnalisme. Ainsi, au-delà du film catastrophe, le film interroge (certes sans grande subtilité) les maux de la société sud-coréenne, et la société contemporaine en générale, capitalisme où l'enjeu humain se voit dévalorisé, piétiné, dénaturé... En plus du poids des gravats, le personnage subit aussi le poids de son pays. Le symbole est évident : l'habitant coréen écrasé par une organisation d'état absurde et incompétente, poussant le citoyen même à être le porteur d'espoir.
Aussi bien film catastrophe que drame de mœurs, le film est surtout dans la parfaite lignée du cinéma sud-coréen en agençant un grisant mélange des genres. Car il offre aussi beaucoup d'humour, plus ou moins délicat, témoignant toujours de ce talent de nous faire passer en deux secondes d'un sourire en coin à la gorge serrée. Ce petit décalage jamais envahissant est d'autant plus une astuce qui nourrit gracieusement le processus d'identification aux personnages.
Ceci dit, les scènes sous les gravats engagent surtout un survival aussi asphyxiant que prenant, moments tellement efficaces qu'il se suffisaient à eux-mêmes pour un film entier. On ressent avec force ce sentiment de claustrophobie, d'autant que les péripéties sont légion sous les pierres, plusieurs rebondissements faisant perpétuellement évoluer le huis-clos. L'attitude du personnage, loin d'être enclin à la panique, se veut aussi très crédible : là où le héros en ferait des caisses dans un film américain, ici l'identification est totale avec lui, face auquel on se dit "j'aurais fait comme lui" à chaque geste d'attente et de survie. Ha Jung-Woo est d'autant plus aidé par la mise en scène de Kim Seong-Hun, qui a voulu cacher sa caméra derrière les gravats pour enfermer l'acteur dans la solitude de sa performance.
Dommage que plus Tunnel avance, plus il s'enferme dans le conventionnel. Il y a moins de surprises alors que l'espoir de survie se dilue, enfermant le spectateur dans une attente insupportable et un ennui poli. Conséquence : l'épilogue se retrouve un peu bâclé, perdant un peu dans l'émotion demandée. Ce qui renvoi directement au majeur défaut du film : le film est trop long, surtout dans sa seconde moitié, et aurait gagné à se délester d'un petit quart d'heure.
Sans démesures mais pas non plus sans défauts, Tunnel perpétue efficacement cette verve sud-coréenne du cinéma de divertissement, alliant le spectacle renversant à un caractère sociétal solide, constat tremblant d'un monde au bord de l'éboulement. Prenant et intelligent, cette galerie brisée mérite que vous vous y engouffriez, histoire de voir s'il y a de la lumière au bout du tunnel.