La bande-annonce m’avait donné très envie de voir ce film, me rappelant au passage "Daylight". Et quand on sait que le cinéma sud-coréen est un cinéma à part du fait de son style atypique, eh bien il faut s’attendre soit à une pépite (on en a eu), soit à une grosse désillusion (on en a eu aussi). Là je considère que c’est du tout bon. D’abord il faut savoir que "Tunnel" est à la fois un film catastrophe et un drame. Rien de réellement novateur, en somme. Jusque-là, je pense que tout le monde est d’accord. Seulement "Tunnel" se démarque en offrant un point de vue différent. En effet, le cinéma occidental se place généralement sur le point de vue des sauveteurs et sur celui des victimes, il parvient à mettre du rythme sans que la dramaturgie ne prenne jamais le dessus de façon outrancière. Sauf que là, "Tunnel" propose une narration tout à fait différente. L’entrée en matière se fait de façon anodine : durant le générique de début, on voit une infiltration d’eau dans une cavité ronde… Et quand viennent les vraies premières images, la caméra s’attarde sur celui qui va être le héros malheureux, en saisissant un instant de vie des plus banals. La capture de cet instant de vie est saisissante de crédibilité, et le positionnement de la caméra sur la voiture offre un plan qui ressemble presque à de la 3D quand le véhicule quitte la station-service. Pour cet homme qui s’apprête à rejoindre sa famille en réglant quelques menus détails, rien n’annonce la mésaventure qui va s’abattre sur lui. C’est là que tout s’accélère, par le biais de puissants bruits étranges amenant une incrédulité doublée d’une vive inquiétude chez cet agent commercial pour le compte du constructeur automobile Kia. Trop tard, le piège s’est refermé et la catastrophe peut avoir lieu, mise en scène par des effets spéciaux époustouflants de réalisme. Dès lors, l’histoire va davantage se focaliser sur l’enseveli. Ainsi le spectateur pourra ressentir les effets d’un confinement claustrophobique, avec l'inévitable longue période d’attente durant laquelle espoir et désespoir vont immanquablement se succéder. Le spectateur prendra aussi connaissance des paroles réconfortantes, des paroles empreintes de conviction prononcées par un sauveteur qui n’a d’autre code d’honneur que de sauver, quel que soit le coût et les moyens. Le réalisateur Kim Seong-hun incorpore avec maîtrise les scènes extérieures à la litanie de ce père de famille. Certes on aurait aimé voir davantage les moyens considérables mis en œuvre pour un sauvetage qui s’annonçait aussi compliqué que périlleux. Cela aurait permis de mesurer l’adhésion de tout un peuple sur les premiers jours, et la solidarité des différents corps de métier réquisitionnés. Au lieu de ça, l’accent a davantage été mis sur des sujets plus universels, comme le sensationnalisme des journalistes plus prompts à gonfler leur audience que de se préoccuper réellement du sort de la victime, ou comme le fait que les politiques soignent leur image en faisant croire qu’ils sont proches de leur population en se déplaçant sur place et en se faisant prendre en photo avec la femme de l’homme enseveli. Evidemment, devant les délais importants et les dépenses colossales consenties pour parvenir à un dénouement heureux incertain, la sempiternelle question de savoir ce que vaut la vie d’un homme se pose, surtout lorsqu’il n’y a plus aucun contact entre le naufragé et l’air libre. Il me semble que dans n’importe quel pays, la question finirait par se poser un jour ou l'autre dans un tel cas, notamment lorsqu’il n’y a qu’une seule vie à sauver, à supposer qu’elle existe encore. En revanche, là où résident les propos les plus accusateurs selon moi, et je m’étonne de ne voir personne en parler dans les différents commentaires, c’est dans les économies de bouts de chandelles faites par des entreprises dans des constructions telles que des tunnels
, avec pour conséquence des plans pas réactualisés
. Ben oui, ça fait désordre, puisque c’est illégal. Un sujet finalement assez peu évoqué au cinéma et pourtant, partout dans le monde, nous avons tous entendu parler de cas de malfaçons dans les constructions (immeubles, maisons individuelles…) avec entre autres des diamètres de ferraillages insuffisants et du même coup insuffisants et en deçà de ce qui avait été préconisé au montage du projet. Et je ne parle même pas des matériaux de qualité moindre. Et puis l'air de rien, le réalisateur a argumenté cette petite dénonciation en montrant un ferraillage que l'homme enseveli essaie de replier. Franchement, la ferraille ne vous parait pas trop fine pour une tel ouvrage d'art ? La stupeur est donc de mise chez le spectateur lorsque les aspects financiers emportent tout sur leur passage
, relançant du même coup la construction d’un deuxième tunnel à proximité du lieu de la catastrophe
. Un événement qui va amener la scène la plus forte émotionnellement, lorsque la femme en passe de devenir veuve tente de s’adresser une dernière fois à son mari sans même savoir si son message aboutira. Doona Bae est tout simplement bouleversante. Non seulement la réalisation est maîtrisée, mais en plus l’interprétation des trois acteurs principaux est excellente. Ha Jung-Woo fait parfaitement ressentir les différents états d’âme par lesquels passe son personnage, se raccrochant comme il peut à sa famille tout en cherchant à la protéger en la rassurant sans arrêt. Donna Bae, je viens d’en parler. Quant à Dal-Su Oh, il rend son personnage empathique par une compassion, une solidarité et une détermination de tous les instants. Donc oui, j’ai trouvé l’approche de cette adaptation du roman de So Jae-won intéressante de tous les points de vue et relativement inédite. De plus, le fait de basculer entre un milieu de désolation et l’extérieur permet d’aérer le récit tout en balançant quelques petites choses scandaleuses, avec un humour succinct mais toujours bien placé ce qui le rend parfois corrosif. Ces changements d’atmosphères permettent de ne pas insister lourdement sur toutes ces petites dénonciations mais bien réelles, tout en leur donnant un discours politiquement correct. "Tunnel" est donc une surprenante réussite, portée par une superbe partition de Young-jin Mok qui accompagne merveilleusement chaque moment important du film.