Avec son casting long comme feu l’annuaire du téléphone, son style très particulier et un fil conducteur, on le verra, bien difficile à déterminer, Claude Lelouch propose un film qui est presque une caricature de film Lelouchien. Quand on connait un peu sa très longue filmographie, on sait qu’il affectionne les histoires de destins, les films dits « choral » ou les gens se croisent, se recroisent au gré du hasard. On sait qu’il aime laisser ses acteurs un peu « en roue libre », qu’il affectionne les face à face, les dialogues qui tirent un peu en longueur. On aime ou on n’aime pas et moi, souvent, j’ai aimé cette façon bien particulière de faire de cinéma. Sauf que dans tout, il faut de la mesure et là, Claude Lelouch construit son film sur… sur pas grand-chose. Le sous-titre de « Chacun sa vie » (déjà, le titre… Evidemment, qu’on a chacun notre vie, on ne va pas vivre celle de quelqu’un d’autre !), c’est « Chacun son intime conviction » : son intime conviction sur qui, sur quoi ? Bah, après presque deux heures de films, je n’ai pas réussi à déterminer de quelle intime conviction il s’agit ! Le fil conducteur de son film est un fil invisible, du coup, sans colonne vertébrale, les scènes qui se succèdent avaient intérêt à être toutes des scènes d’anthologie pour que son film tienne debout. Et force est de constater que non, le film est une succession de scènes parfois très réussies (entre Béatrice Dalle et Eric Dupont-Moretti, les scènes entre Johnny Hallyday, Jean Dujardin et Antoine Dulery, celle entre Chantal Ladesou et Michel Leeb) et parfois très en dessous, voire ratées, voire même pathétiques ! Les comédiens, dans l’ensemble, ne sont pas en cause. Eric Dupont-Moretti, avocat médiatique de son métier, est presque le plus juste, le plus touchant, dans son rôle de président de Cour d’Assise amoureux d’une prostituée. Souvent Lelouch est allé chercher des non-acteurs pour jouer dans ses films (on se souvient de Bernard Tapie) et bien là, c’est une très bonne surprise. Vous me direz qu’un avocat c’est déjà un peu un comédien mais quand même… Les comédiens ne sont pas en cause, je disais, mais Lelouch ne leur donne pas assez de matière pour construire un personnage, certains comme Samuel Benchetrit ou Stéphane de Groot n’ont pas le temps d’incarner quoi que ce soit. Le problème des castings de fou, c’est que personne n’a le temps, ou la chance de construire vraiment un personnage. Là, on passe de l’un à l’autre sans fil conducteur. On se doute bien qu’ils vont se retrouver à la fin tous au même endroit, mais on n’a pas compris le pourquoi du comment cela devait arriver. Il y a des scènes pathétiques, je dois l’avouer, et notamment toutes celles avec Jean-Marie Bigard. Déjà, Bigard en médecin, même dans une dimension parallèle je n’y crois pas, mais alors son discours à deux euros sur la thérapie par le rire est carrément grotesque, presque autant que les blagues de cul vulgaires qu’il fait lire à ses patients. Les scènes avec Christophe Lambert aussi sont assez étranges (la scène où il lèche un grand cru par terre est plus que pathétique !), mais la palme du « mauvais gout qui met mal à l’aise » est décernée à l’échange entre Francis Huster et Isabelle Pasco (je ne suis pas certaine qu’il s’agisse d’elle tellement elle a changé). C’est d’ailleurs sur la mise en scène de la justice que Claude Lelouch, à mon sens, se fourvoie le plus. C’est une constante chez lui de filmer des prétoires. Je ne sais pas bien quelle image il a de la justice, on dirait qu’il la voit comme une sorte de loterie, mais sa façon de filmer une plaidoirie ou un réquisitoire sonne faux, je ne saurais pas dire pourquoi mais ça sonne faux. Il essaie de jouer et de détourner la solennité qui entoure les procès d’assise, mais au final, ça donne quelque chose qui ne met pas à l’aise. C’est difficile à expliquer. Finalement, les scènes les plus réussies et drôles sont celles avec Johnny Hallyday,
à moins qu’il ne s’agisse de son sosie, à moins qu’il ne s’agisse du vrai Johnny se faisant passer pour son sosie, au final on ne sait plus trop !
Mais ces quelques scènes ironiques ne peuvent faire tenir debout un film qui n’a pas de colonne vertébrale, pas de vraie intrigue, pas d’enjeu. Reste quelques bonnes choses : un rythme soutenu, une BO sympathique pleine de jazz mais aussi de Johnny Hallyday et de Claude Nougaro et la belle ville de Beaune et sa région, avec la route des vins et les beaux domaines viticoles. L’office du tourisme de Beaune peut remercier Monsieur Lelouch d’avoir filmé sa ville de cette manière ensoleillée, gaie et vivante : une vraie carte postale qui donne envie de boire du Pommard (avec modération et pour peu qu’on ait les moyens bien entendu). Tout cela n’est qu’une petite consolation car en sortant de la salle, on se prend à penser qu’on espérait voir « Une belle Histoire » et que finalement, c’est « Tout ça… pour ça ! ».