Le tout premier long métrage de David et Raphaël Vital-Durand ne va laisser personne indifférent tant il est particulier dans la forme comme sur le fond. Inspiré d’un roman que je ne connais pas (je ne peux pas trouver à redire quoi que ce soit sur la fidélité à l’œuvre initiale), il se distingue tout d’abord, et dés les premières images, par sa qualité visuelle. Souvent, les premiers films sont soignés, lentement muris, bien préparés mais là, c’est au-delà de tout cela : « Et mon cœur transparent » est peaufiné, ciselé même. Chaque plan est calibré de façon pointue, pour qu’il soit beau, original, inventif. Chaque plan est pensé en terme de cadrage (utilisation du flou, des reflets, des miroirs), en terme de photographie, (très) gros plans, vues aériennes ou sous-marines, ralentis, contrechamps, dans la forme le film des frères Vital-Durand est un petit bijou visuel. Cela apporte beaucoup au scénario car tout ce soin apporté à la forme injecte une dose supplémentaire de surréalisme dans un scénario qui n’en manque pas. Un exemple parmi d’autres : les scènes urbaines sont très souvent vides de tous habitants (à part les protagonistes du film) comme si elles étaient à la fois urbaines et naturelles, les décors naturels, quant à eux, sont à la fois sauvages et domestiqués par l’Homme (le lac dans lequel la voiture tombe est un lac de barrage). Tourné en Corse, si j’en crois le générique de début (parce que la localisation de l’intrigue n’est jamais clairement indiquée), le film ne se prive pas de mettre en scène un littoral incroyable de beauté, inondé de soleil, ou bien noyé dans une brume poétique. J’ajoute que la musique, présente mais pas omniprésente, est très bien utilisée. Julien Boisselier, beaucoup trop rare dans le cinéma français à mon gout, réussi une vraie performance. Son personnage est très décalé, complètement atypique du début à la fin, comme s’il évoluait dans une sorte d’univers parallèle : sa façon de parler un peu à contretemps, ses vêtements étriqués (il porte des pulls même en plein bain de soleil), son attitude à la fois maladroite et hésitante, tout concoure à faire de ce personnage un farfelu, un homme hors du temps et de l’espace. Il faut tout le talent de Boisselier pour qu’un personnage aussi « bizarre » rende bien à l’écran sans faire trop improbable. A ses côtés, la mystérieuse Irina, tout mystérieuse qu’elle est, en paraîtrait presque normale. Caterina Murino est magnifique, sensuelle comme il faut, mystérieuse et attachante, elle cache des tas de choses sans jamais paraître autre chose que sincère. Et puis il y a Sara Giraudeau et sa petite voix aigüe, ses maladresses, et son sens de la mode tout aussi décalé que Lancelot. En un sens, cette jeune agente immobilière qui surgit dans la vie de Lancelot, désormais veuf, est une sorte d’alter ego dans l’étrangeté pour lui, presque un miroir, dommage qu’on ne la voit pas plus à l’écran, les scènes sont elle évolue sont merveilleuses de surréalisme. Le surréalisme, c’est ce qui caractérise le scénario un peu désarmant de « Et mon cœur transparent ». Je peux concevoir que devant une intrigue aussi insaisissable, devant des personnages aussi décalés, on puisse se sentir mal à l’aise. Comme je l’ai déjà dit, c’est comme si le film se déroulait dans un monde légèrement parallèle au nôtre où personne ne se comporte comme prévu : les psychiatres vous soignent avec les plantes (et ça ne marche pas très bien), les policiers vous convoquent en milieu naturel, les agentes immobilières vous draguent maladroitement après vous avoir adressé leur condoléances et les épouses qu’on croyait connaitre se révèlent être des inconnues, les pères dénigrent leur filles mortes, les petites filles se prénomme Tralala, etc… Il faut accepter cette étrangeté pour apprécier le film, et je peux parfaitement admettre qu’on reste froid à tant de décalage et qu’on trouve le temps long. Mais si on marche dans la combine et qu’on accepte de se laisser porter, le film n’est pas déplaisant. Comme il ne dure qu’à peine 90 minutes, on ne s’ennuis pas, et même si en filigrane on a plus ou moins deviné ce que cachait Irina, la pirouette finale est pleine d’ironie.
Le film tend à montrer que tout prédateur est une proie potentielle est inversement, ce qui est une morale qui mérite assurément d’être méditée.
On peut ajouter que l’humour n’est pas absent du film, un humour forcément très décalé lui aussi, à la limite de l’humour absurde, un humour dont il faut être client pour qu’il fonctionne. Au final, « Et mon cœur transparent » est un film intéressant, un peu onirique et poétique en même temps qu’il est un polar et un film romantique. Le scénario, qui ne choisit pas vraiment son camp, fonctionne si l’on accepte au bout d’un moment de ne plus chercher à comprendre absolument tout de ce qu’on voit à l’écran. « Et mon cœur transparent » est un premier film plutôt réussi et audacieux, visuellement impressionnant et qui, je trouve, s’est paré d’un titre magnifique.