Je l’attendais de pied ferme, ce film sur Tonya Harding. Parce que j’aime beaucoup le patinage, surtout celui de cette époque (celui d’aujourd’hui est devenu si formaté !) et que, de cette histoire abracadabrante d’agression, j’ai toujours pensé qu’il y avait beaucoup à dire et de façon beaucoup moins manichéenne qu’on l’a fait à l’époque. Et bien je ne suis pas déçue par un film trépidant comme un programme court, créatif dans sa forme comme un programme libre et qui montre Tonya Harding et au-delà d’elle, le monde sans pitié du patinage, sous un jour cru et sans concession. Dans la forme, Craig Gillespie livre un film de deux heures pied au plancher. Grâce à un montage ultra serré, à un habillage proche de celui de la trash-TV (qui colle parfaitement au sujet) et grâce aussi à un bande son punchy (ZZ Top, Supertamp…), « Moi Tonya » nous embarque dés les premières minutes dans la vie de cette gamine surdouée et il ne nous délivre qu’au bout du générique de fin. Ce générique de fin, qui propose quasi en intégralité le programme de Harding, le fameux programme où elle passe le triple axel (pour la première fois au monde chez les filles), est l’ultime bonne idée de ce film qui n’en manque pas par ailleurs. Un humour omniprésent vient colorer et équilibrer l’histoire de cette fille, l’histoire pathétique d’une gamine affublée d’une mère comme on n’en souhaite pas à sa pire ennemie, marié à un pauvre type qui la bat à tout bout de champs, et passionnée par un sport à qui elle sacrifiera tout et qui ne lui rendra presque rien. Heureusement que le parti pris de Gillespie est de filmer cette histoire avec un second degré total car au premier degré, quelle tristesse que l’histoire de cette pauvre fille. Dans la forme, à part quelques petites choses un peu étranges (une athlète de haut niveau qui fume comme un pompier et qui s’entraine en justaucorps 6h par jour dans les patinoires frigorifiée), le film fonctionne à plein. Il faut le prendre plus comme une fable sous acide que comme un biopic, même s’il en a un peu l’allure. Les reconstitutions du patinage à Albertville ou à Lillehammer m’ont l’air très soignée et pour une fois, le patinage est plutôt bien rendu à l’écran. Filmer le sport pour le cinéma est un sacré challenge, autant le patinage est télégénique, autant il est peu propice au grand écran. Ici, les prestations de Harding sont bien filmées, là encore de façon dynamique et crédible, ce qui n’était pas gagné sur le papier. J’imagine que ce n’est pas Margot Robbie qui patine mais une doublure, et pourtant c’est suffisamment bien fait pour qu’on se laisse abuser. Margot Robbie, parlons en, livre une vraie performance en incarnant une Tonya Harding complexe, attachante et exaspérante, qui fait des mauvais choix et laisse son caractère la desservir. Au bout de deux heures, je parie que plus personne ne peut considérer Harding comme la méchante machiavélique décrite à l’époque, mais davantage comme une pauvre fille qui s’est bien mal battue avec le peu d’armes que la vie lui a donné au départ. A ses côtés, Sébastian Stan est épatant mais surtout Allison Janney impressionne. Cela fait 20 ans, depuis « The West Wing », que je sais que Janney est une immense actrice et qu’elle n’a jamais eu un rôle à sa mesure. Ici, elle donne corps à une mère abominable, qui n’aura jamais un mot tendre, un geste affectueux pour sa fille, une femme tellement dure et sèche qu’elle en devient parfois presque… drôle ! La performance d’Allison Janney vaut un oscar, et je pèse mes mots ! Le scénario de « Moi, Tonya » va bien au-delà de décrire et expliquer « L’incident » par la personnalité de Harding. Le scénario est pertinent car il jette une lumière très crue sur un sport particulièrement injuste et surtout totalement accepté comme tel (surtout à l’époque, cela a un peu changé aujourd’hui). Harding vient d’un milieu très populaire, elle n’a pas d’argent pour patiner (aux USA, les parents payent pour tout, jusqu’aux tenues, ce sport est réservé aux riches), elle est athlétique, un peu trapue, elle fait l’erreur de considérer le patinage uniquement comme un sport alors que c’est aussi autre chose. Elle n’avait aucune chance, le monde du patinage n’était pas fait pour elle comme il n’était pas fait, à la même époque, pour une Surya Bonaly. C’est tragique de voir cette gamine surdouée adorer un sport d’un amour à sens unique. Le film prend le parti de montrer une Harding moins coupable qu’on ne l’a dit à l’époque, mais pas totalement innocente non plus.
Au sortir de la salle, on ne connait toujours pas avec certitude son degré d’implication dans l’affaire, le film est volontairement ambigu et c’est très bien comme cela
. En revanche, le film est sans pitié pour Jeff Gilloly, son ex-mari et Shawn Eckart, les commanditaires de l’agression, des pauvres types pas très futés, des mecs plus pathétiques que dangereux. « Moi, Tonya » est filmé comme un reportage de TV-réalité et montre des personnages finalement peu éloignés de ce monde là, un monde où la bêtise rivalise avec la vulgarité. C’est de ce monde là que vient Tonya Harding, celui des « red-necks » et des pick-up, et c’est dans ce monde là que le patinage et la presse à voulu la cantonner. Même si on n’est pas fan de patinage, même si on ne sait pas ce que représente la performance de passer un triple axel en 1994 pour une fille, je vous l’assure, on peut prendre un vrai plaisir de spectateur devant « Moi, Tonya ».