Les westerns ne sont plus légion sur les grands écrans et c’est fort dommage. On se consolera néanmoins de leur rareté en découvrant ce film superbe à tout point de vue, signé Scott Cooper. Certes, il ne s’agit pas d’une œuvre qui révolutionne le genre, mais qu’importe. Le film est admirable, terrible et beau à la fois.
Son attrait, il le doit, entre autres, à ses paysages et à sa photographie, la quasi-totalité de l’œuvre étant tournée en extérieur. Mais ce qui séduit par-dessus tout, ce sont les personnages, car le film est excellemment écrit et dialogué. Dès le début, deux scènes successives nous mettent dans le bain de violence qui dévastait la colonisation de l’Amérique à la fin du XIXème siècle. Dans la guerre qui oppose les Indiens et les Blancs, on ne fait pas de quartier : d’un côté comme de l’autre, la cruauté est de rigueur et elle est si abominable qu’elle exacerbe des haines qui semblent ne plus pouvoir s’atténuer.
Dans ce théâtre de barbarie, néanmoins, ce sont les Blancs, plus nombreux, mieux armés et mieux organisés, qui détiennent la supériorité. Pourtant, des voix s’élèvent, et peut-être quelques scrupules, réclamant un peu de commisération pour les Indiens. Le Président des USA lui-même intervient et donne l’ordre de libérer un groupe de Cheyennes dont le chef est malade afin de le ramener jusqu’aux terres de leurs ancêtres, la Vallée des Ours dans le Montana. Or, celui qui connaît bien les pistes et qui pourra le mieux guider le convoi est un soldat, un capitaine, du nom de Joseph Blocker (Christian Bale), un homme qui a déjà beaucoup combattu les Indiens et ne ressent que haine à leur encontre. Menacé d’être traduit en cour martiale s’il n’accepte pas cette mission, le voilà donc contraint d’obéir.
Accompagné d’un petit groupe de soldats (parmi lesquels un Noir et un Français !), Blocker se met en chemin et, très bientôt, exige que, parmi les Peaux Rouges, les hommes soient enchaînés. Leur parcours les conduit à une ferme incendiée dans laquelle ne reste qu’une survivante, Rosalee Quaid (Rosamund Pike), tout le restant de sa famille ayant été massacré par un raid de Comanches. Il faut donc poursuivre l’itinéraire avec cette femme qui s’effraie de voir des Indiens (même enchaînés pour ce qui concerne les hommes) dans le convoi. Quant au petit groupe de Comanches rebelle, il risque à tout moment de surgir et d’attaquer.
Avant de parvenir au terme du voyage, bien des périls surviennent, on s’en doute. Nul besoin de tout relater. Je veux surtout insister sur un des aspects du film, celui qui m’a le plus touché et même bouleversé et qui en fait une œuvre de toute beauté. En effet, malgré la violence qui peut survenir à tout instant, malgré les rencontres d’hommes peu scrupuleux et prêts à tout pour garder des terres mal acquises, malgré tous les périls, ou peut-être à cause d’eux, quelque chose change dans les rapports des personnages. Affrontés aux mêmes dangers, les membres du convoi ne peuvent survivre qu’au prix d’une évolution de leurs relations. S’ils veulent s’en sortir, il leur faut, pour le moins, non seulement surmonter leurs divisions mais faire preuve de solidarité.
Or le film propose quelque chose d’encore plus admirable qu’une simple union (qui ne pourrait être que temporaire) face à l’adversité, il met en scène une véritable transformation des mentalités. Les regards changent : la haine, la peur et la rancœur laissent place à d’autres sentiments.
Lors d’une des scènes du film, alors que Joseph Blocker est en train de lire sa Bible, un dialogue s’engage : « Vous croyez en Dieu ? », lui demande Rosalee. « Oui, madame, répond-il, je crois. Mais Dieu a abandonné depuis longtemps ces contrées. » « J’espère que nos épreuves nous rapprocheront de Lui », rétorque la femme. Et, plus loin dans le film, alors que le groupe a subi bien des vicissitudes, Rosalee s’approche du capitaine songeur et lui dit : « Dieu nous conduit par des chemins tortueux ».
Il me semble que ces répliques donnent une des clés de lecture du film, il n’est pas interdit de le penser en tout cas. Dieu est là, oui, on peut l’affirmer, lorsque, au lieu des actes de violence et de haine, des personnages osent les gestes du partage ou ceux de la miséricorde. Une femme indienne qui offre des vêtements à Rosalee et qui, lors d’une scène ultérieure, lui peigne les cheveux ; les mains d’un Indien se joignant à celles de Joseph Blocker : ces signes si simples expriment à eux seuls, sans besoin de paroles, les changements qui s’opèrent dans les cœurs. Même dans les westerns, ce n’est pas nécessairement la violence qui a le dernier mot.