J’aurais aimé apprécier « Razzia » mais la version française a certainement contribué à ma déception. Il y a six mois, j’avais renoncé à voir le film lors de sa première diffusion parce qu'en V.F. J’ai décidé d’attendre, mais malheureusement, le film semble être diffusé qu’en V.F et peu importe la chaîne. Comme j’avais beaucoup aimé « Much loved », j’ai capitulé pour me le coltiner en V.F, chose que je ne fais pas en temps ordinaire. Je préfère mille fois renoncer à un film en V.F que de le regarder. Je garde un mince espoir qu’il sera un jour en V.O et surtout, je préserve mes oreilles ! Force est de constater que mes ouïes ont été mises à rude épreuve. L’incongruité de la V.F : Hakim ( Abdelilah Rachid) apprend le français alors qu’il s’exprime en langue française ! J’imagine qu’il s’exprimait en arabe. Salima, (Maryam Touzani) s’exprimait parfois en français et en arabe comme dans la Médina, avec Yto. On y percevait sa propre voix. Même si je reste sceptique quant elle s’exprimait en arabe, elle semblait doublée. Il faut écouter l’actrice, scénariste pour y percevoir son léger accent marocain. Quant à l’instituteur Abdellah (Amine Ennaji), c’était extrêmement désagréable : sa voix française n’avait strictement rien à voir avec sa voix d’origine quand il parlait berbère. Difficile de faire abstraction quand j’ai su que le film communiquait en quatre langues. Tout ça contribue à me sortir du récit et endommage ma concentration. Et pourtant, il y avait matière à s’accrocher avec les thèmes traités : l’homosexualité, la grossesse hors mariage (déjà bien traité dans « Sofia »… en VO !), le droit de disposer de son corps, vivre sa judéité ou être juif dans la société marocaine qui se dit modérée. Comment peut-on se réclamer modéré quand le Maroc repose ses valeurs morales et civiques sur la religion ?! Je le répèterai sans cesse comme ma signature « A voir en V.O » en fin de chronique, quand la religion s’emmêle ce n’est que souffrance. Je suis intolérant face à toute intolérance. En marge de ces thèmes, une révolte menée par la jeunesse marocaine qui manifeste sa colère contre un chômage important qui les touche, contre une société qui ne leur laisse entrevoir aucun avenir. Une contestation qui sert de toile de fond à un film choral qui malheureusement ne prend pas, parce que les personnages qui me sont donné à voir manquent de corps. Chaque personnage est une porte entrouverte. Par exemple, au lieu de brasser d’autres personnages satellites, Salima, l’instituteur et Hakim, le fan de Freddy Mercury, auraient mérité d’être plus traités. J’aurais aimé que l’on s’attarde sur Salima et ses réponses à l’intolérance religieuse, son refus de céder un centimètre de sa liberté individuelle en tant que femme, résister à toutes les agressivités extérieures quand on est une femme qui refuse le conservatisme religieux ; j’aurais aimé que l’on s’attarde sur l’instituteur et sa frustration de ne plus enseigner le berbère, sur son nouveau départ à Casablanca, sur son malaise à admettre que la langue arabe n’était pas seulement la langue officielle du pays mais la langue des musulmans ; j’aurais aimé que l’on s’attarde sur Hakim et sa difficulté à vivre son homosexualité dans cette société marocaine. Pour en revenir à la langue, ce film choral donne sans doute une signification à la langue : comme plus haut, une langue arabe commune au pays, balayant le berbère, une langue du passé synonyme d’occupation ; une langue connotée religieuse ; démarche pompeuse car l’Inde musulmane parle indien, l’Indonésie profondément musulmane, parle indonésien, l’Iran profondément musulman parle persan, la Turquie profondément musulmane parle le turc. Une langue anglaise pour définir le divertissement comme ces clips à la télé à l’heure de la prière, comme Casablanca de Michael Curtiz et langue française pour son côté bourgeois. Sans compter l'hébreu. Le film "Casablanca" n'est pas un artifice, il est aussi le symbole de la résistance, de toutes les résistances. Langues qui traduisent tantôt le conservatisme religieux et le monde progressiste. Tout ceci, je ne l’ai pas perçu en version française. Et je veux bien croire que grand nombre qui ont apprécié « Razzia » en V.F en ont perçu toutes les nuances. Question d’habitude. En conclusion, la version française n’est pas seule fautive, « Razzia » n’a pas maîtrisé son côté choral et la copie me paraît malheureusement brouillonne. Mais « Razzia » porte un message essentiel partout dans le monde, même en France comme je l’ai entendu par la voix de son réalisateur ; des femmes, des jeunes filles sont venues apporter leurs témoignages dans les avant-premières pour lui dire « Votre combat est aussi notre combat ; ici aussi en banlieue, à Paris, dans les quartiers communautaristes dans lesquels on vit, on ne peut plus s’habiller comme on en a envie » ; « Elles se sont approprié le film » conclut Nabil Ayouch. Quant à Maryam Touzani, elle ne pensait pas qu’en France on tiendrait de tels propos ; elle a réalisé que son combat était lié aussi à celui de toutes les femmes qui refusent tout conservatisme religieux même dans des Etats laïcs ! Voilà pourquoi « Razzia » même vu dans une abominable V.F est un film essentiel. Voilà pourquoi je lui rajoute une étoile.